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5/14/2014

De l'ensevelissement

De l'ensevelissement 

(Où i'a L'Diogène, i'a p'us d'plaisir)


L'ensevelissement me gagnait, dans mon bureau.
La solution, qui ne peut être que provisoire, a été de quitter momentanément cette pièce, à la faveur d'un ensevelissement sous un travail devenu stérile, d'un ennui mortel, tandis que je me racontais encore la fable que j'aimais encore mon métier.
 
Tel qu'il était devenu, je ne l'aimais plus.
Mais alors, plus du tout.
Il me fallait, chaque jour, me raconter l'histoire de la fille qui fait semblant d'être heureuse mais qui rêve et qui crève un peu plus à chaque lever du jour. Aller faire cours et ressentir de terribles vertiges en écrivant au tableau. Le mardi matin. Le mercredi matin aussi. Moins le lundi, régénérée par les jours de répit depuis la fin du jeudi, jour de réponse aux mails un peu moins urgents de la semaine, quand tout était devenu urgence, fausse urgence, organisée avec le sérieux d'un tortionnaire nazi par une administration en course folle à l'excellence empêchant le temps de la maturation de l'excellence, non pas rêvée - ça, ça aurait été bien, enfin, pas si mal - mais prônée, décidée comme un plan quinquennal et demandée pour la veille de l'envoi des mails urgentissismes impossibles à suivre, impossible à lire pour la plupart. Impuissance grandissante.
Sortie près d'un an de l'ensevelissement du bureau, la petite Solange Klein-Lepetit, qui n'était pas si petite, s'en retourna dans la pièce maudite, la pièce interdite. Barbe Noire n'y avait rien caché. La petite Solange avait fini par s'y enterrer vivante. Elle en était sortie. Il lui fallait maintenant y retourner, finir le travail de désensevelissement, avec la précaution du désamianteur fébrile, la peur de manquer un jour d'un quelconque fragment fragile. Elle s'était mise à accumuler sans s'en rendre compte. Jusqu'aux abords de la folie. Il lui fallait y retourner encore. Se forcer à y rester. À ranger. Trier. Classer. Jeter. 

Pour recommencer à vivre, dans un espace clair, désencombré, décontaminé. 

La veille, elle avait regardé ses vieux albums photos dans un de ces beaux "Moments Mère-Fille" dont fille et mère se moquaient en riant. Le matin, une Bonne Fée lui rappela opportunément qu'il était temps. De faire plaisir au Prince Charmant. Avant qu'il ne se transforme en Fils du Vent. Content de repartir, l'ardoise à blanc.

Alors, elle monta le maudit escalier et s'en vint commencer une journée de jet de vieux papiers. Sa copine, Ludivine-Mélusine Sépale-Malle avait raison. On se sent mieux avec 400 kilos de moins autour des seins. On en a moins plein les reins. 

Elle se leva. Prit son café. Deux fois. 

Résista tant bien que mal aux sirènes des autres copines et de quelques copains. Et, un sourire énigmatique aux lèvres, entreprit ce qu'elle avait voulu faire la veille et quelques jours encore auparavant. 

Non sans se dire qu'elle savait drôlement bien tenir un calendrier quand c'était elle qui l'édictait, se le dictait. Elle avait dit qu'elle ne pourrait rien faire avant le 12 mai. Ne s'était rien promis pour le 13 dont elle avait bien profité. On était déjà le 14, quatre jours après la Sainte Solange, sa fête et son anniversaire, elle était toute jeune, sexe, sexagénaire verte et joliment mûre. Elle se souvenait que ses parents avaient bien manqué d'imagination en la prénommant du nom de la Saint du calendrier du jour où elle était née. 

Elle se leva. Et partit au travail. Son travail d'homme libre, elle qui était, parmi d'autres, une femme. Musclée.

© Simone Rinzler | 14 mai 2014

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