Laura Alcoba a récemment présenté son livre Le Bleu des abeilles dans une prison pour femmes à Rennes (voir lien au bas de ce billet).
J'ai lu ce livre à la rentrée. Un beau livre, doux, le point de vue d'une enfant exilée au Blanc-Mesnil et, je l'avais déjà oublié, la relation épistolaire qu'elle entretient avec son père, prisonnier politique en Argentine.
Comme souvent, je ne garde pas la mémoire du récit, mais sa tonalité reste dans ma mémoire. J'ai beaucoup aimé cette écriture. Il me reste une impression de simplicité, de douceur, de réel enfantin et mûr à la fois. A ce moment, cette lecture faisait écho à celle de Faber de Tristan Garcia que je venais de terminer, un livre qui m'a beaucoup marquée, comme me marquent souvent les romans écrits par des philosophes (je pense notamment à l'instant aux livres de Jérôme Ferrari que l'ai lus à la même période, Le Sermon sur la chute de Rome encore exclu pour le moment) et par des psychanalystes (Henry Bauchau, J.B. Pontalis).
Ce qui m'est resté du roman Le Bleu des abeilles, ce sont les relations qui se sont nouées, ici, en exil, avec les enfants ; cette façon de raconter l'enfance sans mièvrerie, avec acuité. L'enfance d'une petite fille grandie par sa situation d'exilée dans un pays inconnu, dans une banlieue un peu triste, à apprivoiser. Cette légère mélancolie sans tristesse est entrée en résonance avec la lecture de Faber que je venais de faire récemment et qui m'avait impressionnée (même si, pour une raison qui m'est inconnue, j'ai moins aimé le dernier quart du livre, sans que cela n'enlève rien au fait que cela a été une des première lectures marquantes de la rentrée - pas tant la "rentrée littéraire" que ma première rentrée sans école avec l'impératif de rester au lit, de me reposer, sans travailler, donc sans lire ni écrire en anglais. Comme les personnages de ces deux romans, je découvrais, moi aussi, en même temps, un nouveau monde qui m'était inconnu. je me plongeais dans la découverte de la littérature francophone contemporaine dont j'avais été trop privée pendant ces dernières années de travail intense sur le monde anglophone, sa langue, ou plutôt ses langues, et le langage).
Le point commun de ces deux livres a trait à l'enfance, à l'adolescence, à l'âge où l'on découvre le monde extérieur, où le passage entre vie dans la famille et vie à l'école ou au lycée se fait vers l'extérieur, dans un va-et-vient constant, avec un tropisme vers l'extérieur.
Ce que je vivais au temps de la lecture était l'inverse de ce que racontaient ces deux romans. Il y avait pour moi, dans cette temporalité-là, un mouvement, non pas vers l'extérieur, mais vers l'intérieur, plus introspectif qu'expérientiel. (Je me relis et je corrige. Ce que j'ai écrit est erroné et nécessite une précision. Pour que cela soit valable, il faudrait envisager "expérientiel" ici au sens de "expérience découverte du monde", comme si l’introspection n'était pas expérientielle.Or l'introspection est expérience de soi, de soi au monde, hors du bruit du monde, mais pas sans le monde que l'on continue à porter en soi, avec soi).
Dans les deux cas, celui de ces deux romans et le mien au moment de lecture, un nouveau monde est à explorer. Ce qui entraîne des étonnements, des engouements, des questionnements.
Plus que de bons romans et de mauvais romans, j'ai tendance à penser qu'il y a des romans qui arrivent au bon moment, ou plutôt au moment adéquat, pas nécessairement bon, pour imprimer une marque chez le lecteur ou la lectrice.
Je ne crois pas qu'à un autre moment de ma vie, j'aurais autant apprécié ces livres. Ce n'est qu'une supposition, une croyance plutôt qu'autre chose, une opinion, pas un concept philosophique. Rien ne pourra jamais me prouver que j'ai tort ou raison. La question qui se pose ici n'est pas une question de vérité, ce n'est pas de savoir si c'est vrai ou faux. J'ai simplement le sentiment que cette impression est juste.
Peut-être parce que je la ressens, et ne peux nier ce que je ressens. Ce qui est une autre manière de pratiquer la philosophie, non pas ici en deleuzienne (puisque je ne crée pas de concept, ce qui est le moyen de pratiquer la philosophie selon Gilles Deleuze), mais en s'interrogeant sur son expérience, ce qui est probablement aussi vieux que la philosophie (mais là s'arrêtent mes limites philosophiques à cette heure tardive. Je ne retrouve pas le nom du philosophe français extrêmement connu qui s'interroge sur son expérience, ma mémoire défaille et je veux terminer ce billet relativement rapidement pour retrouver, précisément, mes écrits philosophiques dans lesquels tout est précieusement consigné, analysé, décortiqué. Je suis encore convalescente et plaide en faveur de votre bienveillance...)
Le thème des deux romans est pourtant très différent. Du moins en apparence. Pour Laura Alcoba, c'est une enfant qui décrit sa façon de voir le monde. Dans la seconde partie du roman (attention, spoiler !) les personnages chez Tristan Garcia sont plus âgés : deux jeunes adolescents, une fille, un garçon sont amis ; leur rencontre avec Faber, camarade de lycée étonnant, détonnant, dans la petite ville ennuyeuse où ils étudient et vivent une vie ordinaire modifie leur rapport au monde. L'attraction que Faber exerce sur eux, jeune homme ou jeune garçon hors normes est fascinante pour le lecteur autant que pour les deux très jeunes gens.
Je m'arrête là, ne voulant pas davantage gâcher votre plaisir de la découverte de ces deux romans qui me sont chers.
PS : Laura Alcoba était ma collègue à l'université de Nanterre lorsque j'y travaillais encore, mais je ne me souviens pas que nous nous soyons rencontrées : n'enseignant pas la même langue, nous étions dans deux "départements" différents. J'avais entendu parler de son livre Manèges par un collègue et amie commune qui me l'avait très chaleureusement recommandé. Je ne l'ai toujours pas lu. Les critiques que j'ai lues me laissent à penser que je l'apprécierait également.
Pour lire l'article de journal concernant la rencontre de Laura Alcoba avec les détenues de la prison de Rennes, c'est ici :
http://www.breizhfemmes.fr/index.php/8-a-la-une/95-rencontre
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