Souricette fait sa mortelle
Même pas mal, qu'elle dit avant de partir.
Moi, avec mes petits seins, la mammo,
Ça m'a jamais fait mal
Qu'elle claironne à tue-tête, à tu et à toi et à qui veut l'entendre.
À l'entendre, on dirait bien qu'elle ne se rend compte de rien.
De rien ? Ah, tu crois ça, qu'elle ne se rend compte de rien ?
Elle sait bien, elle sait bien à quoi ça sert.
C'est même pour cela qu'elle le fait.
Mais pourquoi se peiner avant l'heure, tant que le malheur n'est pas encore arrivé. Il sera bien temps, de se faire du mauvais sang, le jour où, par hasard, ce sera arrivé. Tu crois que je n'ai pas assez, pour me faire marronner, pour m'en rajouter avec ce qui n'est pas, encore, et ne sera, peut-être, jamais là ? Que crois-tu donc ? Que je ne craigne pas la mort ? Que je lui jette un sort ? Que j'aie déclaré la mort à la mort ?
Je ne suis pas si bête. Je la sais là, présente, encore, toujours, tous les jours, à mes côtés. Je fais l'effort de la narguer, de la regarder, en face, pour l'accepter, quand elle viendra, le plus tard possible. Pourquoi donc alors, de rien encore, se désespérer ? La peur de la mort n'a jamais tué que l'envie de vivre. J'appelle la mort, ne vais pas jusqu'à lui parler, suis pas si tarée, je ne me parle, qu'à moi-même, ça suffit, ça, c'est bien assez. J'ai tant vécu dans des cimetières, des vies de deuils, de vivants morts que j'ai bien le droit de m'amuser de ma mort, tant que je n'y suis, n'y suis pas encore.
Allez, allez, direct à la mammo, vas donc te faire gaufrer le droit, gaufrer le gauche, gaufrer les seins par la conne de manipulatrice qui te dira, comme la dernière fois, ah bon, ah bon, ça n'vous fait pas, n'vous fait peur, n'vous fait pas mal ? Ben, non, ben, non, c'est rien, c'est rien (wouhouuffff) ,rien qu'un (ohhouille), rien qu'un examen. Si c'est pas bon, on verra bien.
Mais c'est qu'elle te foutrait la trouille, cette conne-là. Elle ne sait pas que les plus forts, les plus ardents, ont plus de chances de s'en sortir, les ceusses qu'ont l'moral en béton ?
Ça me rappelle l'avant-dernière, pendant qu'elle me pinçait la peau, à hurler, mais je n'ai pas bronché, qui me demandait ce que j'avais comme maladie et que j'ai commencé à lui étaler ma litanie - de maladies - cumuleuse de mandats oblige - et qui me dit Vous avez du courage.
Non, lui ai-je répondu. Je n'ai pas de courage. J'ai des maladies. Plusieurs. Je ne l'ai pas voulu. Je subis. Je me soigne. Ce n'est pas du courage. Juste du pas de pot.
Je n'ai rien demandé, surtout pas de brevet de héros, héroïne de sales attentes chez des médecins, labos, spécialistes, machins-bidules-trucs.
Mais qu'est-ce qu'ils ont donc tous encore, avec ce foutu mythe du héros ?
C'est pas comme ça qu'on changera l'état d'esprit de la société. C'est aux malades de refuser le statut de héros. De récupérer leur statut d'être humain, pas de surhomme, ni de surfemme, d'accepter leur statut de mortel. pour enfin, enfin, apprendre à profiter, profiter de l'état de vivant.
Non, mais tu t'rends compte ? Si tout ça ne devait jamais s'arrêter ?
Mais comment qu'on f'rait ?
On s'rait trop nombreux, on s'foutrait des coups de poings, des coups d'lattes dans les gn'yeux, des coups d'genoux aux ovaires rassis, des coups d'tête dans les reins.
Les petits ne pourraient jamais grandir,
les ados jamais mûrir,
les jeunes adultes ne jamais expérimenter,
on s'rait tous au point mort.
Mort.
Ça, ça, ce s'rait vraiment la mort.
De tout.
Même du p'tit ch'val.
Non, ce n'est pas de la mort dont Souricette a le plus peur.
C'est de la douleur.
De la souffrance.
Cruelle. Éternelle.
Pérenne.
Et de la solitude
Quand elle n'est pas
Choisie.
© Simone Rinzler | 9 novembre 2014 - Tous droits réservés
Série Espèces de P'tits Contes À L'Université de Tous Les Moisir-s
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire