Écrire la retraite
11 février 2015
Je ne me suis jamais sentie aussi femme que depuis que je
suis à la retraite.
Quelle mystérieuse opération s’est effectuée pour que
j’éprouve ainsi ma féminité renouvelée, au moment où mon corps, vieillissant,
devient, en apparence du moins,
nettement moins féminin ?
Je ne voulais pas entendre parler de retraite. Je craignais
la retraite, cette perte de la jeunesse et de l’activité. C’était même une véritable
terreur. Terreur de quoi, je ne le savais pas. Je ne pouvais que le supposer,
l’imaginer, en aucun cas en avoir une connaissance vraiment concrète. J’avais
bien vu des femmes retraitées, et des hommes aussi, aussi bien dans mon
entourage que loin de moi, mais quelque chose m’empêchait de pouvoir adhérer
sans hésitation à ce qui allait devenir, en fait, et de fait, un nouveau statut
social. Le statut d’inutile dans une société qui valorise le travail
par-dessous tout. Le retraité, c’est, par définition, celui qui ne fait plus
rien d’utile pour la société.
Je suis habituée à écrire et à réfléchir. Ancienne
professeur certifié d’anglais, je me suis sans cesse recyclée, passant
l’Agrégation Interne quand mes enfants sont devenus plus grands, puis
continuant avec une thèse de linguistique anglaise et enfin une Habilitations à
Diriger de Recherches spécialisée en stylistique anglaise et en philosophie du
langage. Se poser des questions, questionner la société, questionner le rapport
entre le monde et le langage et inversement étaient devenus une seconde nature,
quotidienne.
Peu avant d’arrêter de travailler, je me suis mise à écrire.
Écrire. Écrire autrement. Écrire de la fiction. J’entrais comme dans un autre
métier sans le savoir, mais en n’ignorant pas complètement ce qu’il pouvait y
avoir de différent. Il existe une différence de taille entre savoir,
intellectuellement, quelque chose et le vivre, dans les faits, en actes, en
action.
J’ai réfléchi, jour après jour, à la condition humaine dans
nos sociétés contemporaines. M’est venu immédiatement la question de l’utilité.
La question de l’utilité
Utilité sociale
12 juillet 2015
...
Et là, plus rien.
Je m'étais arrêtée en chemin.
Je ne faisais plus de recherche, du moins officiellement.
J'avais la vie devant moi.
Plein d'autres choses à faire, comme ne plus me contraindre à travailler et profiter de l'instant présent,des découvertes du moment, vivre aussi ce qui relève de mon intimité et qui n'a pas sa place ici, même si je m'y dévoile beaucoup, je ne montre que ce que je choisis de montrer.
Je n'étais pas allée plus loin, malgré mon envie de lire Bentham sur la question de l'utilité, de l'utilité sociale.
J'ai jugé que cette lecture n'était plus utile.
Peut-être la ferais-je, un jour, cette lecture absente de mes connaissances à ce sujet. La fréquentation de Bentham reste très partielle. Ce que je sais, c'est que l'utilitarisme benthamien colore toute notre société et envahit nos pensées.
Il faudrait donc lire et penser Bentham.
Ce n'était plus au programme.
Le programme est de n'en avoir aucun.
Je vis le paradoxe de ce programme de n'en avoir aucun.
Cela me va bien.
Ce programme, lâche et ample à souhait, convient fort bien à mes souhaits, à mes rêves, à ce qui me convient. La boucle sémantique est bouclée.
Fort bien.
Programme :
N'en avoir aucun.
Continuer, au petit bonheur la chance du Grand Bonheur Taiseux.
Le Bonheur de ne pas s'emmerder soi-même.
© Simone Rinzler | 11 février - 12 juillet 2015 - Tous droits réservés
Tout un programme !..., à L'Atelier de L'Espère-Luette
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