A l'atelier (suite)
Mon père travaillait de ses mains.
J’aime les mains. J’aime regarder la main qui travaille. La main
en action.
Ma mère travaillait aussi de ses mains. Dans l’atelier de sa mère.
C’était un atelier de… Je ne sais même pas comment ça s’appelait. Quand mon
oncle a repris l’atelier et l’a installé chez lui, ça s’est appelé un atelier
de façonnier d’imprimerie.
Ma grand-mère, la mère de ma mère, travaillait dans les
étiquettes. Les étiquettes arrivaient. Elle y attachait un fil et une navette.
Fil de coton blanc et navette métallique. Les étiquettes repartaient pour être
attachées aux articles destinés à la vente.
Je n’ai jamais travaillé dans l’atelier de mon père.
J’ai travaillé dans celui de ma grand-mère maternelle. Là-bas, il n’y avait besoin d’aucune qualification. Juste
de l’application. Du courage. Du devoir. L’envie de bien faire. Et l’obligation
de faire vite.
Il y avait des machines, mécaniques, actionnées à la main.
La main allait chercher la poignée, loin devant, et la ramenait
par la droite, vers soi. Et hop !, c’était posé. Quoi ? Je ne sais
plus. Le fil ? La navette ? Ou bien était-ce la machine à percer les
trous ?
Il fallait aller vite, très vite et bien. Ne pas s’arrêter.
Travailler rapidement pour livrer à temps.
C’était la machine à poser les œillets, ça me revient.
J’aimais ce geste. J’aimais ce travail. Mais je n’aimais pas cet
atelier. Besogneux. Laborieux. Sérieux. Silencieux. Je ne me souviens plus s’il
y avait une ou des ouvrières ou s’il n’y avait personne.
[Je crois qu’il y a eu au moins une ouvrière. Jamais assez bien pour ma grand-mère. Là-bas, on pratiquait le mépris de l’ouvrier. On se vantait d’être artisan, pas ouvrier. En y réfléchissant bien, pourtant, c’était bien une petite manufacture, atelier de facture (ou de façon, de façonnier), à la main. Mais on s’enorgueillissait d’en avoir. Des façons. Pas comme les ouvrières, ces moins-que-rien, des filles « pas apprises », entendez « pas éduquées », pas de notre monde, presque des trainées, des prostituées, qui vendent leur force de travail pour faire vivre l’atelier.]
Sans le travail à la machine, je crois bien, à y repenser
maintenant, je crois bien
que je m’y serais ennuyée mortellement. C’était mort. Il n’y avait pas de vie.
Que du devoir. Du travail. Sans joie aucune.
Le Devoir et le sérieux.
Je ne l’aurais pas dit à ce moment – je ne l’aurais pas même pensé
– on s’y
faisait chier à mourir.
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