Tu sais que tu es arrivé(e) au terme d'un processus quand ce qui te plaisait ou te faisait du bien ne te plaît plus ou ne te fait plus de bien.
Tu sais que tu n'aimes pas les expressions du type "au terme d'un processus" quand tu te regardes les écrire et que tu t'en veux d'avoir succombé aux clichés de ton époque.
Tu sais que tu hésites encore à sauter le pas, selon le cliché bien connu, et tu sais que les clichés représentent l'idéologie prégnante de la doxa, d'autant plus invisible qu'elle est partout là.
Tu sais que tu t'es mis(e) dans un double-bind, une injonction contradictoire que tu t'es créée et qu'il te faudra en sortir par le haut, qu'il te faudra te tirer toi-même hors de l'eau en te tirant par les cheveux, comme ce brave Baron de Münchhausen.
Tu sais que ce que tu as fait pour te guérir n'a fait qu'alléger ta souffrance et te permet de reprendre le chemin.
Tu sais qu'après avoir modifié ton chemin, plus jamais tu n'auras envie de prendre le chemin d'avant et bientôt probablement ce déjà ancien chemin qui ne te convient plus.
Tu sais que certains remèdes ne doivent pas être poursuivis jusqu'à mort d'homme ou de femme.
Tu sais que tu as vaincu ton angoisse de l'influence depuis bien longtemps, ta peur de publier en ton nom et que tu fais régulierment tes gammes stylistiques dans des genres très variés, jusqu'à présent encore trop peu essayés.
Tu sais que tu as du talent et que tu dois cesser de le gâcher.
Tu sais que la vie est courte et qu'il faut vite en profiter.
Tu sais que tu dois prendre des décisions et que tu en as déjà pris une. Tu sais que tu ne reproduis jamais les erreurs du passé et que tu sauras bien en inventer d'autres.
Tu sais aussi ce que tu aimes et ce que tu n'aimes pas, ce qui te réjouit et ce qui t'agace, même si tu te sais peu colérique.
Tu sais que l'on va encore, que l'on a déjà, abusé de ta gentillesse et de ton ouverture d'esprit.
Tu sais que cette erreur, tu la refais toujours et qu'il te faut être forte pour ne pas y retomber trop souvent ou trop longtemps.
Tu sais que tu préfères passer pour une idiote plutôt que pour une salope et tu sais que ce n'est pas une raison pour se faire marcher sur les pieds.
Tu sais que tu n'es pas idiote et qu'il y a de nouveau des choses qui commencent à te gaver.
Tu sais qu'il est bientôt temps de changer quelque chose car tu sais qu'un trop fameux "processus" est engagé.
Tu sais que ce "processus engagé" se présente sous la forme d'un "pronostic engagé" et qu'il faut donc que ça cesse.
Tu sais que deux, trois amis, connaissances récentes ou moins, ne pourront pas se passer de commenter et que tu fera semblant de ne pas les lire pendant quelques temps encore.
Tu sais que tu ne peux pas demander de ne pas commenter et en même temps prôner qu'il est indispensable que la parole se prenne en toute liberté.
Tu sais que la parole de l'autre met un terme à ta réflexion et à ton travail d'écriture.
Tu sais que la parole de l'autre est l'engrais de ta réflexion et de ton travail d'écriture.
Tu sais combien il est dur de vivre en société.
Tu sais combien il est pire de vivre hors société.
Tu sais que tu es à satiété et que cela ne va plus s'arrêter.
Tu sais que tu es comblée et que, quoiqu'il arrive, tu es déjà écrivain.
Tu sais ce que tu veux refuser ou accepter indépendamment du sentiment immédiat.
Tu sais que le sentiment d'être flatté(e) est un poison pour continuer ce que tu veux faire.
Tu sais que tu peux remercier et continuer de ton côté.
Tu sais que tu es pleine de gratitude et que cela ne peut te rendre ni servile, ni asservie, ni complice, ni rien.
Tu sais que tu n'es plus à ta place et te sens déjà à l'étroit ici et là.
Tu sais que tu es à ta place et te sens à l'aise çà et là.
Tu sais qu'il est temps de te commander un costume assez grand pour toi.
Tu sais qu'il te faut prendre ton fil et tes aiguilles, tes épingles et te confectionner toi-même ton vêtement sur mesure.
Tu sais qu'une fois proprement, savamment, habilement vêtu(e), tu auras le choix de te dévêtir comme tu veux, quand tu veux et avec ou sans qui tu veux et qu'il te restera toujours le choix de ne pas faire de choix chaque fois que cela sera encore nécessaire.
Tu sais que tu sais faire de bons choix et qu'il n'y a aucune raison pour que cela cesse.
Tu sais que tu te dévoiles et qu'en même temps tu te cèles.
Tu sais que le dévoilement est une façon de taire ce qui ne peut se dire, ni s'écrire.
Tu sais que ce qui ne peut se dire, ne peut s'écrire, se pare d'un voile de clichés et finit en pleine lumière.
Tu sais que le malentendu, dit-on, est un cas particulier du malentendu.
Tu sais, surtout, que la compréhension est un cas particulier du malentendu.
Tu sais que ce que tu dis ou écris ne sera ni compris, ni entendu comme tu l'entends.
Tu sais que tu l'écris et que cela sera mal compris, trop vie compris, rien compris.
Tu sais que je sais que tu sais qu'on se perd en ne faisant rien de bien.
Tu sais que tu l'écris et que tu vas rajouter "quand même" alors même que ce n'était pas nécessaire et qu'il n'aurait surtout pas fallu le faire et que tu le fais quand même.
Tu sais combien tu peux t'obstiner et, malgré la grande gratitude, ne rien devoir, jamais, à personne.
Tu sais ce que tu fais quand tu ne sais pas ce que tu fais.
Tu sais que tu sais et tu sais que tu ne sais rien.
Tu...
... Rien.
Tu écris.
Bien.
© Simone Rinzler | 15 octobre 2014 - Tous droits réservés