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9/30/2015

#15 CR Carnets de retraite : Tu t'es fait belle pour sortir. Tu tetrouves très belle. Tu as de bonnes nouvelles de ta fille cadette. Celate réjouit.

Tu t'es fait belle pour sortir

Tu t'es fait belle pour sortir. Tu te trouves belle.  Très belle. Tu as retrouvé le trait frais, l’œil qui pétille ; tes joues se sont amincies. 

Tu as de bonnes nouvelles de ta fille cadette. Cela te réjouit. Elle est enfin heureuse, ta Princesse. Tu ne l'aurais jamais appelée comme cela, et elle non plus ne se serait peut-être jamais laissée appeler comme cela. Mais c'est Ta Princesse quand même. C'est une Très Jolie Princesse Qui A trouvé Son Joli Prince. Et cela te remplit de joie.

Pendant ce temps, Ta Princesse Benjamine, La Maman De Tes Toutes Petites Princesses, vient à ta fenêtre. Elle te fait rire :

Ça devient angoissant, quand même, de te voir faire de la cuisine comme ça !...
Non, mais, ça sent bon ! C'est bien, hein ?

Alors tu retournes à ta cuisine, retourne tes tomates dans la poêle. Et oui ! La Tatin de Tomates, même froide comme ce midi, on n'y résiste pas !

Tu vas même changer un peu la recette et ajouter du basilic qui pousse encore sur ton rebord de fenêtre.

Ne te perds pas trop dans la littérature, Petit Mère Princesse, tu pourrais les faire attacher et les Charmes de ta Cuisine d'Amour pourraient attacher.

[Une pause à la cuisinière qui n'est pas une cuisinière. Ça n'existera bientôt plus, les cuisinières !]

Tu reviens, très fâchée après toi-même. Tu t'es fiée à ta mémoire et t'es trompée dans la recette.

Ce n’est pas très grave : la sauce est encore meilleure...

Tu as mis trois cuillères à soupe de cassonade au lieu d'une, te semble-t-il. Cela ne fait rien. Quelque chose ne te plaisait pas tout à fait avant-hier. tu ne savais dire quoi. Maintenant, tu sais. Ça manquait de sucre, tout simplement. De bon gros sucre, bien blond, bien chaud, Maintenant, tu la tiens, ta tarte sucrée-salée. Et pour une tuerie, ça sera une vraie tuerie. Comme ils disaient sur la recette.

Pendant que ce qui sera peut-être un dessert mijote, tu te réjouis de l'arrivée prochaine des Grands Princes. Ton Prince A Toi, [Mais si ! Tu sais bien, l'Ancien Mon Prince, Etc. !] et Son Ami Qui Est ton Ami Aussi.

Soirée régalade en perspective !

Et puis, et puis,

Et puis...

L'Ami s'en ira chez Lui. Et alors, là, ce sera La Tuerie. La vraie. Soirée Régalade en perspective !

Ah ! Au fait ! Je ne vous avais pas dit ?

Je ne suis pas sortie et j'ai mis mon joli tablier assorti. On est une Princesse de la Cuisine ou on ne l'est pas ?

Faudrait savoir !

J'en souris.

"Vite, vite. arrête le feu !" te dit ton nez de Princesse Apprentie.

Le Prince arrive. Entre dans la cuisine. Il va... Il va...

Il te dit : "C'est pas un tout petit peu trop cuit, ça ?".

Si. Le texte est fini, et le caramel ne restera pas blondi. Ou alors, un blond vénitien très, très profond. Plutôt auburn. Auburn.

Burn ?

Out !

Zou, les loulous.
Pour moi, c'est fini ici.

Bonne nuit les amis.

© Simone Rinzler | 30 septembre 2015 - Tous droits réservés 
[Des fautes subsisteront peut-être. 
Seuls ceux qui n'écrivent jamais ne font jamais de fautes.]
L'écriture gourmande est heureuse À L'Atelier de L'Espère-Luette

9/29/2015

#14CR Carnets de retraite : Je m'interroge depuis plusieurs jours.

Je m'interroge depuis plusieurs jours...

Je m'interroge depuis plusieurs jours sur le bien-fondé d'un carnet de retraite tel que celui-ci est en train de prendre tournure.

Carnet de retraite morne, de peu d'intérêt, de qualité littéraire médiocre.

Hé ! Quoi ? Seul le malheur, le désespoir ou la misère noire ferait littérature ?

La joie ne pourrait être littéraire ?

Tu m'étonnes qu’après cela, nombreux soient ceux qui s'en détournent...

Ma plume n'est pas moins bonne lorsque je goûte la vie. Elle peut te sembler plus monotone, à toi qui cultives ton attrait mélancolique pour le lugubre, le torturé, le questionnement.

Mais il n'a jamais été présupposé que le questionnement n'intervenait que dans les moments de grands doutes. 

Ce qui fait la différence, du moins me semble-t-il, tient au fait que lorsque l'on a plaisir à vivre, on ne se force pas à s'installer à son écritoire électronique ou à annoter son petit carnet de pensées. Rien ne nous pousse à exprimer ce qui ne veut, ce qui ne peut, ce qui doit sortir. Il y a là un biais de pensée.

Je repense à ce qui avait été un de mes objectifs lorsque j'avais rédigé la première version du roman que j'ai écrit au début de l'année civile. J'étais partie d'une interrogation qui remontait à quelques années déjà. J'avais lu qu'un philosophe, dont le nom m'a malencontreusement échappé depuis longtemps, avait déclaré que le bonheur ne pouvait se raconter au présent. Dès lors, quelque chose titilla ce que j'ai souvent pris pour mon esprit de contradiction, alors que je n'avais qu'un esprit bien fait, qui aimait à s'interroger sur le monde, les gens, les choses, et surtout, surtout, les idées reçues.

Ce qui m'anime ici n'est donc pas l'esprit de contradiction pour le plaisir de la contradiction, pour l'envie de contredire l'autre, mais le désir de me mettre au défi de vérifier, non pas la fausseté de cette affirmation, mais de vérifier qu'il était juste de pouvoir penser et montrer, démontrer le contraire. Non par la théorie. Mais par la pratique.

C'est en écrivant mon ébauche de roman (qui repose encore - Paix à ses cendres provisoires - dans les entrailles de mes ordinateurs) que je me suis mise ce défi en tête.

Une sorte de petit miracle arriva. Le désir d'écrire céda la place au plaisir d'écrire. L'angoisse de la dépression céda le pas à la joie de faire une activité aimée, parfois désirée autrefois, souvent pratiquée dans le cadre de mon travail de chercheur, sur un mode totalement différent. Sans obligation. Sans évaluation. Sans pression.

Par pur désir.

Par pur plaisir.

C'est ainsi que, pas tout à fait tous les jours, mais bien fréquemment cependant, j'écris.

J'écris en mode absolu, en emploi absolu, selon mon ancien jargon universitaire de linguiste.

Je ne peux pas dire que j'écris un livre, que je rédige un roman, que je tiens un journal. Je ne sais pas ce que j'écris. Je ne sais pas ce que je fais, sinon que j'écris. Ce n'est pas à moi de le définir. J'écris. La littérature, je la vis. Je considère que ce que j'écris fait partie d'une démarche littéraire que je ne peux personnellement qualifier au moment (étendu) où je la pratique assidûment.

Je me suis inscrite dans une démarche littéraire. Je suis heureuse.

Cela devrait suffire pour contredire l'assertion du philosophe atrabilaire inconnu. Cela ne serait probablement pas suffisant pour un article universitaire dans lequel je m'imposerais de poursuivre le raisonnement jusqu'à la fin de ma démonstration. C'est amplement assez pour poursuivre ma démarche d'écriture. 

D'écriture littéraire. 

Puisque j'en ai décidé ainsi.

© Simone Rinzler | 29 septembre 2015 - Tous droits réservés 
[Posté sans relire. Des fautes subsistent peut-être. 
Seuls ceux qui n'écrivent jamais ne font jamais de fautes.]
[Addendum : J'ai repéré quelques coquilles. Il en reste encore, certainement. Excusez-moi. La vie m'attend.]
Parce que je le veux bien : L'écriture est littéraire À L'Atelier de L'Espère-Luette








9/28/2015

#13CR Carnets de retraite : Il y a des jours, comme cela, où tu necomprends pas ce qui t'arrive. Aujourd'hui est un de ces jours-là.

#13CR Carnets de retraite : Il y a des jours, comme cela, où tu ne comprends pas ce qui t'arrive. Aujourd'hui est un de ces jours-là.

Il y a des jours, comme cela, où tu ne comprends pas ce qui t'arrive. Aujourd'hui est un de ces jours-là. Tout va bien. Très, très bien. Rien ne cloche. Rien ne t'énerve. Rien ne t'angoisse. Rien ne te stresse. Voilà quelques mois déjà que tu sens que ta santé va s'améliorant. 

Mais, habituellement, il y a toujours un petit quelque chose, un petit grain de sable, même minuscule, qui assombrit ta journée. Mais de ces ombres, tu en rencontres de moins en moins. Elles ont de moins en moins d'intensité. Tu n'oses toujours pas aller chez le psychiatre, faire constater que tu vas mieux. De crainte que cette envie d'y aller voir si tu n'y es plus ne serait pas le début d'une rechute.

Il te faut pourtant bien te faire à l'idée. Tu sembles délivrée du plus gros de ta dépression. Tu as pris ton rythme de croisière de retraitée. Tu profites de la vie, sans ombrages, sans dommages. L'air est doux. Tu aimes toujours autant l'automne et son doux soleil doré. 

Cet après-midi, tu as ressorti un vieux vélo tout-terrain que tu utilisais avant de faire l'achat d'un cycle à assistance électrique, tant tes forces t'avaient abandonnées. Tu es allée te promener, malgré les terrain pentu des environs. Tu habitudes sur un mont. Tes cuisses l'ont bien sentie, la montée, les montées. Mais ton corps était en forme. Tu as pu te promener en te forçant à ne pas abandonner. Tu as fait les pauses nécessaires à la reprise de ton souffle. Tu as même visité le cimetière voisin à mi-pente. Joli jardin calme. Les pierres sont de sobres dalles au sol. Quelques fleurs dépassent. Quelques plaques dressées également. Rien ne dépasse les trente à quarante centimètre. C'est un cimetière sobre. Ce n'est pas racoleur. Ce n'est pas moralisateur. C'est un beau jardin. Avec un banc. Pour s'y asseoir. s'y refaire le souffle, avant de repartir. Dommage, la fontaine verte à l'ancienne ne distribue que de l'eau non potable. Tu bois dans ta petite bouteille de plastique.

Tu hésites à redescendre chez toi. Tu n'as pas regardé l'heure de ton départ. Tu ne fais pas la course avec toi-même. Tu as eu une irrésistible envie de te promener à vélo. Tu y es allée. Heureuse de trouver encore ici, ton vieux vélo qu'il a fallu regonfler et dont vous avez baissé la selle. Un peu trop.

Tu fais ton petit tour. Pas de casque ici. Tu hésites. L'envie est trop forte. Tu y vas. Doucement.

Après ta pause à mi-montée dans le jardin du souvenir où personne ne t'attend, tu es ensuite passée par le parc. Tu décides de ne pas rentrer tout de suite. Tu penses ton itinéraire de retour, sans plus de montée, sauf une dernière, qui te surprend, mais que tu gravis sans regimber, la gambette agile et fraîche.

A peine rentrée, tu te mets à faire de la cuisine. Plein de cuisine. Des plats d'avance, pour demain, à congeler, avec les légumes de ton jardin de là-bas. Tu t'affaires, toute la soirée. Tu y es encore. Tu surveilles la cuisson d'une innovation du jour qui te faisait envie depuis si longtemps : une Tatin de tomates au vinaigre balsamique. Le jus est doux dans la poêle. La pâte feuilletée gonfle. 

Le chronomètre sonne. Tu vas voir si la cuisson est terminée. Ton texte est fini. Le plat est parfait.

Bonne nuit. Douce nuit.

Pour les gourmands, la recette est là :

Si on m'avait dit un jour que je prendrai tant de plaisir à faire la cuisine, jamais je n'aurais pu l'imaginer. 

Pourtant, c'est un fait. Et un bien fait.

Bienfait de la retraite, de la pharmacopée et de la volonté retrouvée réunies.

© Simone Rinzler | 28 septembre 2015

On s'amuse bien, à ne rien faire d’important à L'Atelier de L'Espère-Luette.




9/24/2015

#12CR Carnets de retraite : Bonjour, je m'appelle Solange et je suis accro au travail...

#12CR Carnets de retraite : Bonjour, je m'appelle Solange et je suis accro au travail.

- Bonjour, je m'appelle Solange et je suis accro au travail.

[L'assemblée, en chœur]
- Bonjour, Solange !

- Voilà. Alors j'ai 61 ans et depuis l'âge de six ans, j'ai toujours travaillé. Je travaillais pendant l'année, je travaillais pendant les week-ends, et même, au bout d'un moment, j'ai commencé à travailler pendant les vacances d'été. Je ne me souviens pas vraiment d'époques où je n'aurais pas travaillé. Il faut dire que j'ai commencé assez tôt. Je me souviens de quelques moments de ma vie où je n'ai pas travaillé. C'était pendant mes congés de maternité. Comme j'ai eu trois enfants, ça fait trois périodes où j'ai été abstinente. 

À partir du moment où j'ai commencé à travailler pendant les vacances, j'ai commencé à descendre la pente. Je n'arrivais plus à arrêter de travailler. Je ne savais plus me reposer. Je me souvenais qu'avant de travailler, je m'étais beaucoup ennuyée. J'avais tellement peur de m'ennuyer encore que je m'arrangeais pour ne jamais avoir de creux, de moments sans travailler. 

Je suis abstinente depuis deux ans et trois mois. 

Il m'est arrivé de rechuter. 

Le pire, c'est de passer toutes ses journées à se dire : j'ai envie de travailler. J'ai toujours peur de m'ennuyer. Pourtant, depuis que je ne travaille plus, j'ai redécouvert plein de choses que j'avais perdues, peu à peu, sans m'en rendre compte. J'étais tellement obnubilée par le fait de travailler que je ne savais plus vivre sans avoir au moins un travail à effectuer. Un peu comme si je n'existais pas si je ne travaillais pas. 

J'imagine que vous connaissez tous cela : on commence à travailler un peu, comme ça, pour épater les copains, les camarades, les collègues, on se sent grisé par le succès. Ça vous monte à la tête, et bientôt, vous ne savez plus faire autrement qu'en ayant toujours un travail en projet, un travail en route et un travail en cours d'achèvement. 

Un travail en amenait un autre, et puis, on finit par se dire : "Oh ! Allez ! Encore un !" Et on enchaîne comme ça, de travail en travail. Un travail en amène un autre. On n'a pas envie d'arrêter. 

On se dit qu'on s'arrêtera demain, qu'on répondra : "Non, vraiment, là, je ne peux pas. Je n'en peux plus. Si je continue, je vais crever...", parce qu'on a toujours pu. On se ne sait pas comment on a fait. Mais on a toujours pu. Malgré la gueule de bois, le tournis, les vertiges, les absences, les énervements.

Moi, je me disais qu'il devait y avoir un Bon Dieu des travailleurs compulsifs, parce qu'on a beau travailler, enchaîner les travaux les uns après les autres, on a beau ressentir de la fatigue et parfois de la lassitude, une somnolence permanente, on ne va jamais jusqu'à l'accident. On se croit le maître du monde, on fait son roi du pétrole, on frime devant les copains, la famille, les amis.

Ils se disent : "Elle, elle tient bien le travail ! Moi, je ne pourrais pas. J'ai besoin d'aide moins 7 heures de sommeil, parce que sinon, je ne suis bon à rien ! Mais elle ! Elle tient vraiment bien le travail !".

Alors forcément, toute cette admiration, ça te pousse à faire ton important. Tu fais ton kéké et tu bosses, tu trimes, tu marnes avec tes poteaux du boulot. Ben oui. On ne peut tout de même pas toujours travailler tout seul. On a besoin de se tenir chaud. 

C'est tellement joyeux, une bande de joyeux travailleurs ! Vous les avez vus, dans leurs bureaux, au café, au restau, dans le métro. On rit du boulot, on se tire la bourre, c'est à celui qui bossera le plus. Et quand y'en un qui lâche, un qui craque, on lui fait bien comprendre : "T'es bien trop petit, mon ami" !, "Only the fittest survive!" et on se fout de sa poire dans son dos en se préparant ensemble un cocktail de nouveau boulot qu'on pourra faire ensemble. On se réchauffe. On se rassure. On donne un sens à sa vie. 

Et puis, un jour, on se rend compte que tout cela n'a pas de sens. Que ce sens que l'on donne à sa vie n'est pas le sens de la vie. Que la vie nous désertés. Qu'on est sans vie. Exsangue. Mou. Plat. Raplapla. Ratapla. Plus de jambes. Plus de genoux. Même plus le courage de se faire à manger. Idem pour se laver. Alors on se lève plus tôt pour avoir le temps de tout faire. Et puis on dort moins. De moins en moins. Pour prendre le temps de petit-déjeuner, de se laver, de se maquiller. Ce qui te prenait à tout casser trois quart d'heures te prend maintenant deux heures. Et encore. Tu n'arrives plus vraiment à tout faire. Tu truques, tu bricoles. Tu triches avec toi-même. Et surtout, surtout, tu fais taire ta petite voix qui te dis : "Tu es en train de te tuer !". Il ne te viendrait même pas à l'idée que tu te tues au travail. C'est un truc pour les Japonais, ça. Ça ne te concerne pas. Tout le monde te dit que le travail, c'est la santé. Qu'il faut travailler. Mais toi, tu vois bien que c'est en train de tuer. Peut-être que tu n'es tout simplement pas raisonnable. Que tu as pris le travail comme une drogue de substitution pour ne pas rester là à pleurer, assise sur le bord du trottoir. Tu n'as jamais vraiment pu pleurer. Alors tu t'es soulagée en travaillant, jusqu'à plus soif.

Plus de soif du travail.

Rien. Bernique. Que dalle. Et pourtant, tu en reprends toujours une bonnes goulée. "- Allez, allez ! On rallume la chaudière ! Encore un boulot pour la route ! Camarade, la route est longue ! T'en reprendra bien une petite lampée avec nous ? Allez ! Juste une. - Bon, allez, juste une, mais c'est bien pour vous accompagner, hein !"

On est toujours à la recherche de l'avant-dernier travail. On ne peut pas imaginer le dernier. Ça fait trop peur. Le dernier travail. Et pourquoi pas la mort, pendant que tu y es ?

Alors, on reprend un nouvel avant-dernier travail. Pour éviter le dernier. Comme ça. Par terreur. Terreur du dernier. Ce n'est pas la peur de l'ennui qui te taraude. Tu es un drogué du travail, un workahoolic, un alcoolique du boulot. Le plus dur, c'est de te dire que tu es malade du travail et que tu seras malade toute ta vie. Là, je crois que j'ai largement dépassé la période du déni. Je suis malade travaillique. Et je suis abstinente depuis deux ans et trois mois.

[Elle s'arrête un instant, pensive. Regarde vers le haut, à gauche, puis repose ses mots en prière sur sa bouche, expire un grand coup silencieux puis inspire. Un moment suspendu. Puis elle relève la tête tout en ôtant ses mains de sa bouche. Redresse la tête. Redresse son corps tout entier. Elle s'est reprise. Elle a l'air moins sûre d'elle, c'est du moins ce qu'elle ressent. Une grande force émane de cet instant de reprise sur soi.]

J'ai l'air d'être bien, là, je fais ma fière avec mon "Je suis abstinente depuis deux ans et trois mois", mais si je suis là, c'est parce que j'ai peur de rechuter, et puis vous voyez, ce qui me manque le plus du boulot, ce n'est pas le boulot, mais la camaraderie.

Alors, je suis là pour rompre mon isolement, me refaire des copains qui ne soient pas des copains de boulot, de copains de bureau. J'avais toujours juré que je n'irai jamais dans ce genre d'endroits pour arrêter de boire ou pour maigrir, de groupes de femmes violées ou des associations de victimes, mais quand j'ai vu qu'un groupe de travailleurs compulsifs s'était formé dans ma région, j'ai un peu hésité.... J'ai longtemps hésité. Longtemps hésité. Vous êtes là déjà ensemble depuis près de deux ans....

Comme je suis toujours un peu trop fière, je suis parfois obligée de prendre le taureau par les cornes et de dire, enfin, en toute simplicité : "Voilà. J'ai besoin d'aide. Accueillez-moi dans votre groupe."

Je crève du manque de camaraderie. Rester abstinente, je peux. Mais ne plus voir personne, comme ça, régulièrement, ça, ça me mine.

En fait, ce n'est pas tant que ça me mine. Ça, j'arrive à surmonter.

Une grande partie de mon travail était très solitaire. Mais, le pire, c'est le manque de camaraderie régulière avec des gens qui vous comprennent, qui sont comme vous, qui partagent la même chose, la même quête du sens de la vie et qui se rendent compte qu'ils ne pourront rien tout seuls. Qu'ils ont besoin des autres. 

[À voix plus basse, comme timidement, la tête penchée comme un petit enfant qui demande à être rassuré.]

Et que peut-être, les autres ont besoin d'eux... 

Tout cela pour vous dire que je suis très heureuse d'avoir enfin pu pousser la porte de votre association et d'être enfin là, devant vous, pour vous dire : "Je m'appelle Solange, j'ai 61 ans et je suis malade travaillique. J'ai besoin de votre aide. A tous."

[Le tonnerre d'applaudissements et de cris de bienvenue mêlés recouvre son "Si vous saviez ce que ça m'a coûté...", mezzo voce.]

- Bravo !
- Ouais !
- Bienvenue !
- Bravo !
- Bravo, Solange !
- Solange ! Solange ! Solange ! [Tapements de pieds et de mains de Bastienne et Thomas]
- Bienvenue Solange !
- Bienvenue à la maison, tu es chez toi ici !

André, le leader du groupe se leva.

- Bienvenue, Solange et merci pour ton témoignage et surtout pour le courage qu'il t'a fallu pour venir nous parler. Tu as vu. L'accueil est chaleureux ici. Nous ne sommes pas là pour te juger. Et tu as vu ? Mais tu ne peux pas le savoir car tu n'es jamais venue ! Mais tu as eu droit à une véritable ovation. Le groupe t'a déjà adoptée, on dirait. C'est rare, un accueil pareil.

- C'est vrai, parfois, on ne sait pas quoi dire quand quelqu'un arrive, devant tant de peine. Tu as l'air d'avoir la pêche. Tu sais bien t'exprimer. Je suis certaine que ta présence va beaucoup nous aider.

- Oh ! Là ! Mais, c'est que vous voulez déjà me faire travailler ! À peine arrivée, et hop ! Au boulot, la Solange !

[Rires dans la salle. Solange rit aussi. Elle se détend. Elle dit : Ça fait du bien de rire ! On n'est même pas encore copains et j'ai déjà ri !]

- Tu sais, tu n'es pas obligée de parler de ton travail tout de suite. Et ne reste donc pas debout comme cela. Tu n'es plus au travail ! Retourne donc t'asseoir avec nous qu'on puisse continuer la séance.

- Oui. Là. À côté de moi. Viens sentir la sueur du travail à peine abandonné ! Viens t'asseoir, et je vais te laisser toute seule à côté de Pierre. Je voudrais prendre la parole.

Marion accueille Solange à côté d'elle, lui fait une drôle d'accolade maladroite tout en se levant pour aller au pupitre, à côté du petit bureau d'André.

La vieille salle de réunion du service d'action culturelle communal est miteuse. C'est une vieille salle de classe dont les carreaux jaune sale et grisâtres sont la seule décoration, avec quelques affiches des activités qui s'y tiennent encore. Cette salle n'a pas encore été rénovée. Elle sert aux réunions des petites associations de la communes, mais restrictions obligent, elle n'est pas aussi jolie que les salles mises à disposition pour les bébés lecteurs et les enfants joueurs. Tout cela est d'un triste à pleurer pour ceux qui se laissent avoir par la beauté du décor.

Une chaleur s'y dégage, pourtant. Une chaleur toute particulière, absolument invisible pour le passant des couloirs qui y jette un œil distrait en amenant son enfant au club de lecture des bébés lecteurs ou en se rendant au tout nouveau cours de cuisine dans la cuisine pédagogique aménagée à grands frais par la mairie.

Seuls les sportifs des sports et des activités les moins pratiqués, et sans grand rendement pour l'image de la mairie, ont l'habitude de s'entraîner ou de se rencontrer dans ces locaux minables : club des retraités (eux, ils vont bientôt avoir leur salle : s'occuper de la jeunesse et de la vieillesse ensemble, ça, ça se vend bien, municipalement parlant), petit club de judo hors du grand club de la ville, taï chi et percussions africaines, et prêt de la salle pour la fête annuelle de l'amicale bretonne qui vieillit peu à peu. L'amicale portugaise s'est trouvée seule un local plus grand pour y organiser ses fêtes, mais certains viennent encore par habitude et par commodité pour y parler, s'y rencontrer tranquillement ou fêter de petits événements familiaux ou du quartier, comme les réussites scolaires des enfants.

C'est au tour de Marion...

[À suivre... Peut-être... Si l'auteure a encore envie de travailler... Qui sait ? Il y a encore du tri sur la planche, vous vous souvenez ?]

© Simone Rinzler | 23-24 septembre 2015 - Tous droits réservés 

Tiens, jamais à un paradoxe près, on dirait que le travail a vraiment repris À L'Atelier de L'Espère-Luette

9/18/2015

20150829 Elle s'arrêta. Elle n'arrivait pas à donner de la complexité àses personnages...

20150829 Elle s'arrêta. Elle n'arrivait pas à donner de la complexité à ses personnages

Elle s'arrêta. 

Elle n'arrivait pas à donner de la complexité à ses personnages. Elle s’était perdue dans l’effervescence de la rapidité et y avait perdu le fil de ce qu’elle voulait faire. Sous les injonctions à produire, produire, produire du texte à la chaîne, elle avait perdu ce qui s’élabore lentement, ce qui se mûrit. Elle en avait même fini par en avoir la nausée. Écrire ne lui faisait plus autant plaisir. Acceptant la compétition, sans avoir jamais eu une âme de compétitrice autrement que contre elle-même, elle s’était départie de sa capacité à réfléchir. 

Elle avait eu la tête ailleurs, aussi. 

L’écriture n’est pas tout. La vie l’avait attendue, l’avait rejointe, elle avait vécu. Des hauts et des bas, de grandes nouvelles joyeuses, des terreurs affreuses.
Il lui avait fallu attendre, avoir le courage d’attendre que le temps fasse son œuvre, qu’elle retrouve son équilibre qui avait été tumultueusement mis à rude et belle épreuve. Elle était devenue grand-mère de deux magnifiques petites jumelles et avait enfin goûté les joies de la grand-maternité dont elle n’avait pu goûter avec autant de délice lorsqu’elle était encore une femme active, très impliquée dans son métier. 

Cet après-midi, elle reprenait l’écriture qu’elle avait délaissée pendant le temps des vacances. Elle reprenait sa routine d’écriture. Elle était bien. Heureuse. Calme. Détendue. Sa fille était là, avec son mari. Ils étaient heureux de venir se reposer à la campagne, loin des tracas de la ville, du travail, des péripéties administratives sans fin. De les avoir là, heureux, confiants, elle se sentait bien. Quelque chose de sa vie se refermait, une infinie blessure qui se refermait, peu à peu. Elle avait ouvert son ordinateur et avait commencé à tracer ces lignes :

Elle n'arrivait pas à donner de la complexité à ses personnages.

Au moment d’enregistrer le nom du fichier avant toute écriture, elle ajouta : 

Elle s’arrêta.

Cet ajout changeait tout. Dire : « Elle arrêta », c’était sous-entendre qu’elle faisait autre chose avant, qu’une action ou une activité était en cours. Or elle ne faisait rien. Elle venait de terminer le déjeuner, de parler seule avec sa fille quelques instants, puis s’était mise à penser, à repenser à son roman abandonné dont elle venait de lui parler. Elle arrêta quoi, alors ?
Elle arrêta de penser. Elle arrêta d’arrêter. Elle se remit à écrire. Sans se remettre à relire une énième fois ce roman qui ne lui convenait pas mais sur lequel elle avait déjà tant travaillé qu’elle ne pouvait plus l’ignorer comme s’il n’avait jamais existé. Cela faisait quelques jours qu’elle avait recommencé à « écrire dans sa tête ». Elle repensait aux personnages de son roman. Elle avait vu trop gros, avait introduit trop de personnages, chacun n’étant qu’une ébauche, qu’une caricature de caractère sans épaisseur réelle, libraire et Solange excepté. Elle s’était perdue dans le jeu de la complexité en mettant en scène un personnage qui portait son nom. Elle s’était perdue dans le jeu entre fiction et réalité. Il allait lui falloir reprendre, réécrire, poursuivre, dans un premier temps, encore ajouter, ajouter, ajouter, retrouver sa tonalité.

Voilà, elle le sentait. Elle l’avait retrouvée, sa tonalité. Elle avait retrouvé son envie, son désir d’écrire. Le temps n’était pas indifférent. Quoique retraitée, la rentrée était prévue pour le surlendemain. Elle allait quitter son lieu de villégiature, son mari allait faire sa rentrée, elle reprendrait son rythme d’avant les longues vacances d’été. Elle s’était reposée. Parfois même ennuyée. Elle n’avait plus peur de l’ennui. Elle l’acceptait. Enfin. Elle préférait encore l’ennui au trop-plein qu’elle avait connu. Elle sentait bien que le passage du burn-out n’avait pas été qu’un passage. Qu’il l’avait durablement affectée. Elle avait aussi amorcé le passage à la retraite, brutal, un de ses terreurs les plus affreuses, écran de sa peur de la mort, sans l’ombre d’un doute, même si elle tentait de se le cacher, y compris en l’écrivant ici. Elle préférait l’acceptation à la lutte sans victoire possible. Elle se savait mortelle. Inutile de lutter contre la mort prochaine. Utile, en revanche, de vivre au mieux, en attendant la mort, sans rester là à l’attendre. Elle savait ce qu’elle ne voulait plus faire. Fuir à toutes jambes. Courir. Courir plusieurs lièvres à la fois. S’étourdir d’activités sans véritable intérêt profond. Ce qui la tenait, c’était l’écriture. Mais quand le désir n’était pas là, le désir d’écrire était le même que le désir de jeux sexuels. Elle en avait fait l’expérience aussi cet été, à son grand étonnement. Elle avait perdu tout désir. Loin de s’en inquiéter, elle s’était dit qu’il fallait prendre son mal en patience et patienter. Patienter. Ça finirait bien par revenir. Elle ne se sentait pas en panne d’amour. Juste en panne d’énergie. Elle ressentait encore le besoin de se reposer. D’une vie entière ? Peut-être. De son burn-out ? Plus sûrement. Une date anniversaire un peu floue approchait : la date de la rentrée, sachant qu’elle avait été incapable de faire sa dernière rentrée, reculant devant la peur d’arrêter et s’arrêtant avant, à bout, épuisée, consumée, terrassée, vide, vide, vide de tout désir, de tout plaisir. Elle avait retrouvé le plaisir. Le désir aussi. Puis l’avait reperdu. Vieille batterie un peu rouillée, elle ne tenait plus la charge. Plus aussi longtemps. Elle se lassait plus vite aussi. S’enthousiasmait nettement moins, moins vite et moins fort. Elle était probablement plus équilibrée, mais ceux qui l’avaient connue avant ne reconnaissaient plus la même femme. Elle était la même. À une autre période de sa vie. Elle sentait approcher la fin de sa crise de sénescence. Les remous étaient moins nombreux. Elle avait aussi, tant bien que mal, réussi à faire comprendre, plus ou moins bien, qu’elle ne supportait plus la contrainte extérieure. Elle en était à sa dernière étape de femme libre qui ne voulait pas être une femme seule. Elle avait fait comprendre, enfin, à son mari, que son appétit sexuel était moins important, mais que son amour était primordial. Elle ne se morfondait plus sur sa propre incapacité à jouir tous les jours. Quand elle se sentait repue, elle n’avait pas envie de plus. Cela ne leur était jamais arrivé d’avoir un tel décalage de désir. Il y avait décalage de désir. Pas d’amour. Ils savaient se parler. Il avait enfin accepté qu’elle n’ait plus aussi faim. Plus aussi faim que lui. Qu’elle saute un repas, qu’elle sèche un festin annoncé. Elle avait assez. Juste assez. Juste bien. Elle avait réalisé son rêve de Boucles d’Argent. Elle avait trouvé le juste bien. Elle ne voulait pas davantage que ce dont elle avait besoin. Elle se réjouissait qu’il la désire. Encore. Avec tant d’appétit depuis toutes ces années. Avec tout ce qu’ils avaient vécu. Ensemble. Mais elle n’avait plus faim tous les jours, plus autant, plus aussi longtemps, et cela avait bien failli leur empoisonner la vie et surtout, les nuits et les soirées.

Les vacances touchaient à leur fin. Comme tous les ans, elle se préparait à rentrer. Même si cela n’était que la troisième fois qu’elle n’allait pas rentrer à l’École. Ou au collège, au lycée ou à l’Université. Depuis l’âge de six, tous les ans, elle était rentrée.

C’était la rentrée. Mais ce n’était plus la rentrée des classes. Elle n’allait plus en classe.

Elle allait, libre, hors de l’Institution où elle avait, presque toujours, vécu. Un tel changement ne pouvait se faire sans douce nostalgie. Aujourd’hui, l’amertume avait fait place à la douceur. La douceur d’être sans avoir à se forcer.

Être. Juste être. Et être bien.

Pour un nouveau début, cela sonnait plutôt bien. Elle n’avait pas perdu la main.

Et ses personnages, dans tout cela ?


Ses personnages ? La réflexion sur ses personnages, elle la laissa. Il lui fallait faire la vaisselle. S’aérer la tête. Soulager son squelette de la position assise sans bouger depuis environ sept pages et mille quatre cents mots environ. Elle ne pouvait calculer en temps. Le temps ne l’avait vraiment jamais intéressée. Elle ne savait pas à quelle heure elle avait commencé. Elle avait commencé. Commencé à recommencer. Seul cela lui importait. Le temps mis à la chose lui importait aussi peu que le temps passé à faire l’amour. Il importait de faire et d’y prendre du plaisir. Savoir combien de temps cela avait duré n’avait jamais été sa priorité. Elle s’en moquait comme de sa première brassière.

Les personnages ? Bien sûr qu’elle y reviendrait. Mais pas encore. Pas maintenant. Elle préférait se consacrer à la peinture des sentiments, à la description des pensées, à la survenue des introspections, à la présentation des interactions, des émotions, des actions et des activités. C’était cela qui manquait à son roman. Une profondeur. Cette qualité. Pas une quantité. Elle était revenue au type de qualité qu’elle recherchait. 

Elle enregistra le fichier, ferma l’ordinateur et se leva. Elle seule saura si elle lavera les poêles du déjeuner immédiatement ou ira se réfugier aux toilettes, la nature se faisant pressante.
Peut-être eut-elle l’impulsion de relire. De réécrire. Peut-être alla-t-elle aux toilettes, fit la vaisselle ou les deux, ou rien de tout cela. Peut-être continua-t-elle au risque de ruiner ce qu’elle venait d’écrire. Nul ne le saura, puis qu’elle ne l’écrivit pas.

Le texte s’arrêtait là.

© Simone Rinzler – 29 août 2015

Quand tout semblait en berne, quelque chose bougeait encore à L’Atelier de L’Espère-Luette

9/17/2015

#9CR Carnets de retraite Et ça aussi, je peux ? Oui. Je peux.

Et ça aussi, je peux ? Oui. Je peux.

Et ça aussi, je peux ?
Oui. Je peux.
Et ça aussi, je peux ?
Oui. Ça aussi.
Et ça ? Et ça ?
Et ça aussi ?
Oui.
Ça aussi.
Alors, si je peux, me voici rassurée. J’arrête.

C’est ainsi que s’exprimait mon angoisse existentielle. Savoir si je pouvais. M’interroger. Savoir si je pouvais. Si je pouvais faire ce que je voulais.
Et à chaque fois, je pouvais. Ou du moins, j’avais l’illusion que je pouvais. Je pouvais, mais je n’allais pas jusqu’au bout.
Une fois rassurée par ma capacité à pouvoir, je me tournai vers quelque autre activité à tester. Essayer. Pour voir si je peux. Et vite abandonner si je pense que je ne peux pas. Voire ne pas même y toucher si je pense que je ne pourrai jamais. Ou du moins, jamais très bien.
Ce que je voulais, c’était savoir si je pouvais faire très bien. Excellemment bien. Et dès lors que j’étais arrivée à savoir que je pouvais, l’envie tombait. D’un coup. Sec. Crac. Terminé. Fini. C’est ainsi que j’ai envisagé mes longues études sur le long terme. Seul un échec peut m’arrêter. Durablement. Écrire, je peux. Écrire. Je n’ai pas fini. Écrire. J’ai envie. Je ne peux pas me mettre en retrait d’écriture si longtemps. Je me censure. Je me castre. Je m’empêche de faire ce que je veux. Et ce que je veux, c’est écrire. Écrire, écrire, et encore écrire. Laisser un trace ? Probable. S’adonner à une activité aimée. Sans l’ombre d’un doute. Se retrouver. Ne pas se perdre dans un monde qui n’est pas le sien, qui n’est pas le mien, qui n’est qu’un monde d’emprunt auquel je tente, jour après jour, de m’adapter, tant bien que mal, plutôt bien que mal, puis plutôt mal que bien. Je me suis toujours vue finir ma vie à écrire. Seule dans la pièce qui fait office de bureau. Une cuisine, une salle à manger, un bureau, un café, un train. N’importe. Mes genoux, même, peuvent faire l’affaire. Course de longue distance, en concurrence avec soi-même, calfeutrée dans son esprit, je m’évade. Je m’évade du réel. J’y suis bien. Même si je ne me suis jamais sentie très douée pour raconter, inventer des histoires (j’aurais été une bien piètre menteuse), je ressens ce besoin d’introspection, celui qui s’éloigne du ressassement, grâce à la permanence (toute relative cependant) de l’écrit. Aller plus loin que le ressassement. Avancer dans la pensée. Ne pas penser à vide. Aller chercher au fond de soi ce qui s’enterre sous les préoccupations futiles des autres. Aller chercher sa propre profondeur, indépendamment de l’agitation du monde, du premier, du deuxième, du troisième au septième cercle. D’où viennent ces histoires de cercles dont parlait mon amie Joyce. ? Je ne sais. L’origine en importe peu pour l’instant. Peut-être irais-je faire un tour pour savoir d’où vient cette idée des cercles concentriques autour de la personne. J’ai rapetissé mes cercles. Ils se sont amenuisés. J’ai besoin de moins de cercles. Mais comme j’étouffe parfois dans le premier cercle, alors me reprend l’envie d’écrire. Mon envie d’intériorité, non partagée avec les trous premiers cercles. Besoin d’intégrité. Besoin d’unité personnelle. Besoin de se sentir entier. Pas tiraillée par les besoins et les envies des autres. De l’autre. Besoin de m’échapper. M’échapper sans bouger. Comme je l’ai toujours fait. Mon corps est là. Mon esprit est ailleurs. Tu peux bien faire ce que tu veux de moi, moi, je en suis pas là. Le vieux mécanisme bien connu se remet à l’œuvre, par glissement, symboliquement. Quoi de plus réel que le glissement symbolique ? Le retour à soi. À ce qui marque, imprime, imprime sa marque. Durablement. Imprime sa trace.

La pensée se bloque. L’écriture ne peut plus avancer. Écrire me fait dire ce que jamais je n’aurais dit. De vive voix. Avec ma bouche. Écrire comme un cri silencieux. Après le chant, vient le temps du cri en silence. C’est toujours le même cri. Le cri pour être entendue. Le cri que tu n’as pas poussé ? Le cri que tu as poussé qui n’a pas été entendu. Là, je n’écrirais pas qu’importe. Ce cri, l’as-tu proféré, dans la nuit, la journée ? Ce cri n’a-t-il pas été entendu ? Je ne l’ai jamais poussé ce cri de vie. Ce cri de « Je suis arrivée ! » Ce cri de vie. Ce cri de « Je suis là. Je compte, moi ! » Ah ! Ça ! Pour faire du bruit, j’en ai fait du bruit. J’ai toujours fait beaucoup de bruit. Mais personne n’entend mes cris. Mes cris silencieux. Ceux qui ne veulent pas sortir. Ceux que j’étouffe au fond de ma cave de torture. J’attends que l’on vienne me sauver. Je sais que personne ne me sauvera. Personne ne me sauvera de ma terreur de la mort. Ma terreur existentielle. Ma peur de la solitude. Quelle connerie ! Mais je n’ai plus envie que de cela, éprouver ma solitude. Être libre de mes actes, de mes propos, de mes écrits, de mes cris, mes cris silencieux au milieu du bruit de vie que je fais autour de moi. Je ne fais plus beaucoup de bruit. Cela ne change qu’assez peu mon état d’esprit, par rapport à avant, quand je m’agitais, virevoltais, travaillais, m’activais. Je n’étais pas beaucoup plus active, car je le faisais sous une contrainte qui n’était plus celle que je m’imposais, volontairement, mais une contrainte subie, une promesse faite à l’humanité, moins grandiloquente, à l’entourage, aux collègues, à la famille, aux amis. Qu’en reste-t-il ? Pas grand-chose. Sinon la douleur d’avoir fait sans envie. Travailler sur des projets en en ayant perdu le plaisir, c’était un viol de mon intégrité. Un viol auto-infligé. Si je creuse bien, ce qui m’a toujours fait faillir, c’est de n’avoir jamais pensé, au sens de vraiment penser, le concept de fidélité. C’est au nom de la fidélité, de l’interdiction de trahir que je me suis limitée. Je ne veux plus me limiter. Écrire, je fais. Écrire, je ferai. Il n’y a pas trahison. Il n’y a pas d’absence de fidélité. Il y a fidélité à soi. Interdiction de trahir ses propres aspirations.
Écrire. Je fais.
Écrire, je ferai.

Et soudain me vient cette proximité entre l’être, la quête existentielle comme course contre la terreur de la mort, et ce qu’il faut bien appeler la sexualité. J’y retrouve le même ressort. L’envie ou l’absence d’envie. Le désir. Ou son absence. Et l’évidence de ce qui s’impose.
Désir d’écrire.
Mon seul désir, actuellement.
S’arracher à la tendresse, à la douceur.
J’ai pris ma journée de congé.
Pour moi.
Pour ne pas crever.
Pour ne pas dépendre de ces deux petites filles venues éclairer ma jeune retraite.
Non. Je ne m’ennuie pas d’elles quand j’écris. J’écris et je pense à elle. J’écris et je serai moins lassée quand je les reverrai.
Je me suis roulée dans le bonheur, dans la tendresse, dans les bisous, les câlins fous, les pestacles endiablés pour tout-petits, inventés, improvisés, chantés, dansés, le petit théâtre imaginaire des marionnettes de peluche Woezel & Pip, mes petites marionnettes de douceur et de joyeuseté, de joie profonde, réelle, sans souffrance, sans s’interroger. Ça vient. Comme ça. C’est là. C’est prêt à repartir entre deux petits tours et puis s’en vont.
Voilà. Cette fougue s’en est allée. Jusqu’à la prochaine crise de folies, de rires, de chants et de bonheur.
Voilà.
J’ai pris ma journée.
Je suis heureuse.

Je vais me lever et boire un grand verre d’eau à la santé de ma désaliénation du travail ! aller me doucher. Aller croquer un petit quelque chose. Aller me promener.
Mais avant, poster !

Comme le temps passe vite, quand on aime ce que l’on fait, que l’on n’est pas pressé, que rien ne vous attend et que l’on prend le temps. J’ai sacrément bien fait de ne pas aller dans ce club de retraités. La vie en collectivité, j’en ai assez soupé. Je profite de mon intimité. Et du plaisir de la partager.
Un petit coucou, le sourire en coin, à tous ceux qui sont allés jusqu’au bout dans la lecture de cette introspection du matin tardif et posé.

[Expérience d’écriture brute, sans relecture aucune, pour ne pas peaufiner toute la journée et faire ce que j’ai prévu pour ma journée]

© Simone Rinzler – 17 septembre 2015 – Tous droits réservés

Fin des vacances à L'Atelier de L'Espère-Luette