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11/13/2015

6 #AA Anamnèse de l'amnésie : Elle les regarderait de son œil intérieur. Elle les verrait à peine.

6 #AA Anamnèse de l'amnésie : Elle les regarderait de son œil intérieur. Elle les verrait à peine.

12-13 novembre 2015

Elle les regarderait de son œil intérieur. Elle les verrait à peine. Elle ne pourrait s'empêcher de les juger. Elle n'aurait aucune pitié. Que font-ils ? Que sont-ils ? Qui sont-ils ? Qu'aiment-ils ? Elle ne saurait répondre pour eux. Elle tenterait de comprendre. Elle ne pourrait pas se faire de café. Il serait trop tard. Elle ne voudrait pas le déranger. Il allait bientôt dormir. Elle aurait tout son temps. Elle aurait toujours pris son temps, même quand elle n'allait pas lentement. 

Elle les considérerait avec étonnement.

Elle les lirait. Parfois, elle interviendrait. Elle aimerait ces moments, même si ce n'était pas tout le temps. Elle les regarderait vivre, s'agiter, se battre et débattre. Elle ne pourrait s'empêcher de les regarder avec une forme de jugement. 

Elle les regarderait.

Elle les verrait à l'œuvre. Ils seraient là, toujours présents, omniprésents, omnipotents, impuissants.

Ils échangeraient des propos insignifiants. Elle ne les comprendrait pas. Ils s'amuseraient d'un rien, sans jamais s'interroger profondément. Elle ne les comprendrait pas. Ils s'insulteraient la plupart du temps. Elle ne les comprendrait pas. Ils se mépriseraient les uns les autres. Elle ne les comprendrait pas davantage. Que chercheraient-ils ainsi, sur les réseaux sociaux, à s'invectiver, se mépriser, se juger mutuellement ? Elle ne pourrait s'empêcher de les juger. Elle ne les mépriserait pas. Elle tenterait de les comprendre.

Elle ne pourrait pas se lever, faire du café. Il était tard. Il lisait à ses côtés. 

Que faisait-ils ? Tentaient-ils de meubler leur vide intérieur ? Avaient-il quelque sac à vider, quelque fardeau à porter qui ne fût invivable ? Ils se vidaient de leur vide.

Elle aurait déjà vidé le vide de son vide. Elle n'aurait pourtant jamais fini d'explorer le trop-plein de son vide contemporain. Elle ne cessait de vidanger ce qui la dérangeait.

Elle se lèverait bien faire un café décaféiné à sa convenance, mais il serait trop tard. Il se serait endormi après lui avoir souhaité bonne nuit, après une douce soirée passée à ce rien qui fait du bien, le rien du on est bien, le rien du bien plein, le rien de la plénitude. Le contraire du vide. Le plein de ce qui est bien, de ce qui ne se dit pas, ne se raconte pas, ne semble jamais avoir d'intérêt que lorsqu'il disparaît.

Il serait trop tard pour se relever. Elle boirait au goulot de sa bouteille d'eau auprès de son chevet. Elle ne se relèverait que dans quelques heures. Elle viderait sa vessie sous la lanterne de nuit, celle qu'elle allumait pour ne pas le gêner. 

Elle n'avait jamais vraiment aimé dormir la nuit, comme les enfants, les vieillards et les écrivains. Elle résistait à l'angoisse de la nuit en restant éveillée quand les autres dormaient. Elle aimait sa vie nocturne, solitaire. Elle avait tenté autrefois de remplacer la nuit par l'aube. Elle avait aimé ces pâles matins, ces moment où elle ressentait que tout lui appartenait. Elle n'avait jamais réussi à tenir ce rythme. Ce n'était visiblement pas le sien. Elle était une femme de la nuit. Et parfois, quand la nuit s'éternisait, femme du petit matin. Elle n'avait jamais eu de mémoire. 

Elle n'aurait jamais pu rien retenir qui ne fût impératif pour ses propres besoins. Elle n'avait la mémoire que de ce qui l'intéressait.

Elle se demanderait si elle avait perdu son intérêt. Des êtres et des choses. Elle répondrait sans hésiter qu'elle n'avait pas perdu son intérêt. Seule l'intensité de sa passion aurait faibli. Elle serait moins le jouet de ses passions. Elle serait le seul moteur de ses actions, de ses passions.  Elle sentirait qu'elle serait de plus en plus éloignée de ceux qui ne faisaient rien, de ceux qui ne créaient rien, de ceux qui ne poursuivaient pas un chemin qu'il était impérieux de suivre, malgré les périls craints, les craintes imbéciles, un chemin qu'il était impossible de ne pas emprunter. Elle ne les comprenaient pas. Hé ! Quoi ? Ne s'ennuyaient-ils pas, à ne jamais rien faire ? 

Elle repenserait aux jours passés. À ses absences constatées. Elle comprendrait que ce n'était pas de l'ennui, ni de la perte de mémoire, mais la mise en acte d'une évolution, d'une progression, sans progrès, ni regrès, d'un processus permanent que rien n'arrêterait, sauf sa propre mort, évidemment. Elle savait qu'elle préférait le processus au procès, l'action au résultat. Elle se moquait du produit fini. Ce qui l'intéressait était la recherche du processus permanent, la réflexion sur le processus, la mise en route du processus, la poursuite du processus. Voilà pourquoi elle ne publiait pas. La publication symbolisait la mort du processus. Elle ne se ferait jamais à la mort du processus. Elle aurait toujours eu du mal avec la fin. Elle était au cœur de son angoisse existentielle, sans ressentir aucune angoisse quand elle s'y installait. Plus elle s'y installait, plus elle se sentait bien, le corps et le cœur sereins, au repos, dans la douceur du confort choisi. 

Elle aurait cru qu'elle ne choisissait jamais. Elle aurait fait erreur. Elle n'aurait cesser de choisir la solution du moindre effort, quitte à y travailler d'arrache-pied, d'arrache-cœur. Elle aurait sans cesse travaillé à sa propre loi, à être à elle-même sa propre loi. Elle serait parvenue à surmonter tous les obstacles, même les plus hauts, même les plus rudes, avec plus ou moins d'entrain. Mais jamais elle n'aurait dérogé à sa propre règle, sa règle du moindre effort, sa règle de la recherche de l'emmerdement minimal, au prix d'un travail de tous les instants.

Là encore, elle était encore en travail. Elle ne cessait d'accoucher de son propre travail. Elle était à elle-même sa propre loi. Elle n'était pas seule. Elle n'était pas comprise. Elle s'en moquait. Rien ne la ferait dévier. Elle continuerait.

Pour la peine, elle pourrait presque se faire un café décaféiné, mais elle n'en avait pas la volonté, n'en verrait pas la volupté. 

Elle n'avait ni soif, ni aucune autre envie urgente.

Elle éteignit et s'endormit, pour les besoins du récit. Elle savait bien qu'elle ne dormirait pas. Pas encore. Elle voulait encore jouir de ce temps de bonheur, encore vierge, encore impartagé. Elle posterait pourtant le récit. 

Elle racontait ce qu'elle voulait, elle inventait, elle s'interrogeait. Elle avait retrouvé le tonus du processus en cours. Elle voulait en profiter. Seule. À l'ombre de la nuit douce et paisible.

© Simone Rinzler | 13 novembre 2015 - Tous droits réservés.

[Document de travail suceptible de recevoir des modifications, notamment corrections des inévitables coquilles.]

Demain, elle passerait à "Il" + Passé Composé et Présent À L'Atelier de L'Espère-Luette

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