Rechercher dans ce blog

4/01/2023

Exaltante rencontre sur une appli de rencontre : Défi d'écriture - une nouvelle par mois

 EXALTANTE RENCONTRE

8 mars – 1er avril 2023

Swipe. Swipe. Swoosh ! Nos portraits auraient matché. Il m’aurait likée.

Depuis que je l’aurais vu, ce serait comme si j’étais devenue aveugle. Je ne verrais plus les autres. Je ne verrais plus que lui. Lui. Lui. Je me repaîtrais de son amour, de sa présence, de sa douceur. Plus rien ne compterait. Il remplacerait tout. Il serait devenu mon seul monde.

Je pourrais chanter toute la journée l’immense bonheur que je ressentirais à la seule pensée de son existence auprès de moi :

Seit ich ihn gesehen

Glaub ich blind zu sein.

Wo ich hin erblicke,

Seh’ ich ihn allein.

Même les jeux et les rires avec mes sœurs ne m’intéresseraient plus. Tout le reste m’ennuierait et m’accablerait. Plus rien n’aurait de couleur sans lui.

Quel sentiment merveilleux de sentir la douce fièvre d’amour qui réchaufferait mon cœur. Il serait si doux, si gentil. J’aimerais ses yeux. J’aimerais sa bouche. J’aimerais son esprit, résolu. Il serait le plus merveilleux que j’aurais jamais vu.

Er, der Herrlichste von allen,

          Wie so milde, wie so gut!                                

          Holde Lippen, klares Auge,

          Heller Sinn und fester Mut.

Hélas ! Jamais il ne voudrait de moi.

Sort cruel ! Je pourrais ainsi, pleurer jusqu’au tombeau, sans l’élu que j’aimerais.

Mais quoi ?

C’est moi qu’il aurait choisie parmi toutes les prétendantes ? Je n’arriverais pas à le croire. Je ne pourrais le concevoir. Je vivrais comme un rêve :

Ich kann's  nicht fassen, nicht glauben,

Es hat ein Traum mich berückt;

        Wie hätt er doch unter allen

        Mich Arme erhöht und beglückt?

Comment se ferait-il qu’il m’ait choisie, entre toutes ? Ce serait comme si je rêvais encore. Pourtant, il m’en aurait fait la promesse éternelle :

Mir war’s, er habe gesprochen:

„Ich bin auf ewig dein“—

Mir war’s—ich träume noch immer,

Es kann ja nimmer so sein.

Ce serait tellement incroyable. Je peinerais à y croire.

Vite ! Vite ! il me faudrait appeler mes sœurs. Partager avec elles la bonne nouvelle de mon âme exaltée. Leur faire connaître ma joie de le connaître, de l’avoir rencontré, de l’aimer. Le bonheur de savoir qu’il m’aimerait aussi. Qu’il me l’aurait dit, qu’il me l’aurait juré, se serait engagé pour la vie. Je ne tiendrais plus en place. Il faudrait que je le dise. Que je le crie. Que je le clame. Ce serait si agréable. Venez, venez ! Écoutez ! J’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Il m’aurait dit qu’il m’aimait. Nous serions fiancés. Vous regarderiez ce bel anneau d’alliance qu’il aurait mis à mon doigt ;

Du Ring an meinem Finger,

Mein goldenes Ringelein,

Ich drücke dich fromm an die Lippen,

Dich fromm an das Herze mein.

Je vous appellerais, mes sœurs, à venir m’aider à me préparer pour mon mariage, à ceindre la couronne de fleurs à mon front.

Helft mir, ihr Schwestern,

Freundlich mich schmücken,

Dient der Glücklichen heute mir,

Windet geschäftig

Mir um die Stirne

Noch der blühenden Myrte Zier.

Bientôt, l’enfant vivrait sous notre toit. J’en pleurerais de joie.

Süsser Freund, du blickest

Mich verwundert an,

Kannst es nicht begreifen,

Wie ich weinen kann;

Enfin, enfin, l’enfant serait né. Notre fille. Sur ma poitrine, elle réchaufferait mon cœur d’une volupté sans égale. Quelle joie ! Quelle joie !

An meinem Herzen, an meiner Brust,

Du meine Wonne, du meine Lust!

Das Glück ist die Liebe, die Lieb ist das Glück,

Ich hab’s gesagt und nehm’s nicht zurück.

Hélas, hélas, un tel bonheur ne pourrait durer. Toi, mon amour, homme adoré, tu m’aurais, pour la première fois, causé une douleur insoutenable :

Nun hast du mir den ersten Schmerz getan,

Der aber traf.

Du schläfst, du harter, unbarmherz’ger Mann,

Den Todesschlaf.

Allongé, les yeux fermés, tu dormirais, immobile, du sommeil de la mort.

Douleur ! Ô douleur ! 

Jamais, non jamais plus, je n’irai sur cette application de rencontre, Ô ma sœur !

© Simone Rinzler | 8 mars- 1er avril 2023 - Tous droits réservés

À L'Atelier de L'Espère-Luette

 

VIDEO :

Une belle surprise, une soprano expressive et son pianiste, excellent, filmés :

https://youtu.be/Ym9mHHsXvGI. Mezzo-soprano Jaime KORKOS and pianist Damien FRANKOEUR-KRZYZEK perform Robert Schumann's "Frauenliebe und Leben, op. 42" in recital in New England Conservatory's Jordan Hall, 27 March 2013.

 

PAROLES EN ALLEMAND ET TRADUCTION EN ANGLAIS :

Pour les paroles et leur traduction en anglais, l’ergonomie est un peu ennuyeuse, il faut cliquer sur chaque lied et changer de page. Mais c’est le seul site à peu près fiable. Cliquer ici : https://www.oxfordlieder.co.uk/song/273

 

TRADUCTION EN FRANÇAIS :

Rien de complet en français, hélas. Mais vous avez ma nouvelle qui reprend le thème des huit Lieder de Robert Schumann « Frauenliebe und -leben » (« L'Amour et la vie d'une femme ») en le modernisant un peu.

 

Cette nouvelle a été initialement postée sur le forum Zodiac Writing Challenge, 5ème édition 2023, Forum créé par Sturm, dans le cadre d'un défi d’écriture pendant un an : une nouvelle par mois portant sur un des thèmes choisis par les participants.

2/28/2023

Sa "Vieille" Intérieure : défi d'écriture - une nouvelle par mois

Sa "Vieille" Intérieure

13-25 février 2023

Ils se seraient dit qu’elle exagérait. Elle n’aurait, une fois encore, pas accepté de faire comme les autres. Sa volonté d’originalité l’aurait de plus en plus éloignée de la société. Elle se serait retrouvée, imperceptiblement, dans une forme d’exil civilisationnel, comme le sont tous les vieux qui ne sortaient plus, n’avaient plus de contacts qu’épisodiques avec de plus jeunes, aide à domicile exclue.

Quand tant de monde s’intimait d’écouter son Enfant Intérieur, elle n’aurait que trop tôt écouté sa Vieille Intérieure qui lui aurait soufflé d’ignorer tout ce qui ne venait pas d’elle. Qui lui aurait conseillé de rejeter tout ce qui se faisait dorénavant, par principe, et lui aurait interdit tout accès à ce qui, dès lors, ferait société. Elle se serait progressivement transformée en vieille bourrique, entêtée, grimaçante et méchante, en tout ce qu’elle aurait refusé de devenir plus tard, dans son jeune temps et même dans la primeur de son vieux temps, quand elle n’aurait été qu’une jeune vieille.

Pourtant, ils en auraient bien vu des vieux, qui se seraient enorgueillis d’être restés de vieux tromblons. Des sales vieux, des sales cons, bien vieux, bien rances, des vieux cons bien Vieille France, rances. Ah, ils auraient été fiers de leur connerie, ceux-là ! Jouissant de leur fermeture d’esprit et de leur méchanceté.

 

Mais, elle ? Qu’est-ce qui lui aurait pris de se transformer ainsi en mégère, elle, l’ancienne légère, pétulante, inapprivoisable ? Serait-elle allée au Bois d’Ormonde, se soumettrait-elle dès lors aux lois d’immondes ? Aurait-elle fait de si mauvaises rencontres qu’elle aurait dû se renfrogner, se rencogner dans son intérieur qui n’allait pas fort pour prétendument se protéger ?

 

Elle entendrait le conseil des vieux et des vieilles de la Ronde de Ravel qu’elle avait autrefois chantée en chœur : 

 

N'allez pas au Bois d'Ormonde
Jeunes filles, n'allez pas au bois,
N'allez pas au Bois d'Ormonde,
Jeunes filles, n'allez pas au bois.
Il y a plein de satyres,
De centaures, de malins sorciers,
Des farfadets et des incubes, 
Des ogres, des lutins,
Des faunes, des follets, des lamies,Diables, diablots, diablotins,
Des chèvre-pieds, des gnomes,
dDes démons,
Des loups-garous, des elfes,
Des myrmidons,
Des enchanteurs et des mages,
Des stryges, des sylphes,
Des moines-bourrus,
Des cyclopes, des djinns, gobelins, korrigans, nécromants, kobolds...
Ah !
N'allez pas au Bois d'Ormonde,
N'allez pas au bois.

Quelle mouche l’aurait piquée ? Elle-même se le demanderait aussi parfois. Que lui serait-il arrivé pour que cette vieille harpie lui tombe dessus, manteau trop lourd qu’elle peinerait à porter. Elle poserait hypothèse sur hypothèse. Elle se serait interrogée, incessamment.

Serait-elle devenue paranoïaque ? N’aurait-elle fini par croire qu’elle n’avait que des Ennemis Intimes ? Que le monde entier lui en voulait ? Aurait-elle été plutôt bipolaire en phase mélancolique, en phase merdique. Elle aurait remarqué des phases joyeuses et des phases sombres. Mais tout le monde n’aurait-il donc pas ses bons et ses mauvais jours ? Cela n’aurait rien prouvé. Aurait-elle été un de ces zèbres dont elles se serait autrefois moquée, pensant qu’ils n’étaient, comme elle, que des gens qui avaient souffert d’une enfance brisée par une violence psychologique innommable, tout heureux de se trouver autre chose qu’une enfance saccagée par quelque mauvais sort ? Aurait-elle été un de ces hauts potentiels, ces HPI à la mode de ses deux, à la mords-moi le nœud, qui ne savaient quoi s’inventer pour se distinguer ? Comme elle, tiens ! Elle le saurait. N’aurait-elle pas plutôt été Aspie ? Autiste Asperger de haut niveau intellectuel, neuro-atypique présentant des troubles du spectre autistique de leur petit nom acronymique TSA ? Voire les deux, ensemble ? HPI + TSA ? Zèbre Aspie ou Aspie Zèbre ? Ne serait-elle pas tout simplement arrivée au bout de son rouleau, trop compressée ? N'en pourrait-elle plus de sa résilience à toute épreuve ? N’aurait-elle pas craqué sous le poids des coups répétés d’une vie de yoyo qui ne l’aurait que peu épargnée ?

Non, elle aurait trouvé la clé du problème en se souvenant du dessin animé de Michel Ocelot, un peu effrayant pour les enfants avec ses fétiches malfaisants. Elle aurait été Karaba, la cruelle sorcière du conte et attendrait que quelque Kirikou lui ôtât l’épine dans le dos qui la faisait mortellement souffrir et la rendait si odieuse dans toute la contrée. Elle aurait été le fameux lion du Nouveau Testament, une épine dans la patte, attendant que son Saint Jérôme le guérît, lui sauvant ainsi la vie, ce lion que l’on aurait toujours vu, sans savoir pourquoi, représenté dans les musées, flanqué de son Saint sauveur.

Elle attendrait qu’on la sauvât elle aussi. Sans avoir à le demander. Et toujours, jamais, personne. Personne ne serait là. Pour elle.

Alors, elle prendrait son courage à deux mains et s’ôterait…

La vie ?

Sûrement pas !

L’épine du pied ou du dos ?

Que nenni !

Elle prendrait enfin son courage à deux mains et s’ôterait elle-même ce qui la ferait souffrir. Elle accepterait enfin de se faire soigner. Oh ! Pas le corps ! Ça, elle aurait toujours accepté de se le faire soigner. Non. La tête. Le psychisme. Elle prendrait rendez-vous chez ce bon psychiatre, efficace et gentil, qu’on lui aurait autrefois recommandé, priant - quoique très athée de toute croyance irrationnelle - pour qu’il n’eût pas, entre temps, lui aussi, écouté son Vieux Intérieur et soit à son tour devenu quelque vieux con atrabilaire et prît encore quelque nouveau patient dans un grand besoin. Une nouvelle patiente, âgée. Une vieille, quoi. Ne serait-il pas trop tard ? N’aurait-elle pas trop attendu ? Elle prierait, elle, la vieille mécréante, pour que cette dernière solution enfin la soulageât.


© Simone Rinzler | 13-25 février 2023 - Tous droits réservés

À L'Atelier de L'Espère-Luette

Cette nouvelle a été initialement postée sur Zodiac Writing Challenge, 5ème édition 2023, Forum créé par Sturm, dans le cadre d'un défi d’écriture pendant un an : une nouvelle par mois. 


Joseph Maurice Ravel (7 March 1875 – 28 December 1937) was a French composer, pianist and conductor. He is often associated with impressionism along with his elder contemporary Claude Debussy, although both composers rejected the term. In the 1920s and 1930s Ravel was internationally regarded as France's greatest living composer. Trois Chansons (1914-15) lyrics: Maurice Ravel 1. Nicolette 2. Trois beaux oiseaux du paradis 3. Ronde BBC Singer conducted by Simon Joly
Pour écouter uniquement la Ronde dont il est question dans la nouvelle, cliquer sur le lien ci-dessous et aller directement à 4'35 :
 
 



 


2/10/2023

Le Vœu : secret ou pas secret ? Défi d'écriture - une nouvelle par mois

Le Vœu : secret ou pas secret ?

31 janvier - 2 février 2023

Elle aurait travaillé Le Secret, la partition de Fauré qu’elle devait bientôt chanter :

Je veux que le matin l’ignore,

Le nom que j’ai dit à la nuit

Et qu’au vent de l’aube, sans bruit,

Comme une larme, il s’évapore.

Dans son esprit, le piano aurait continué sa partie solo, entre les deux quatrains.

Elle se serait arrêtée. Qu’aurait-elle fait comme vœu, si elle avait eu le choix ? Le vœu du secret aurait-il eu sa faveur ? Elle n’en aurait pas été certaine. Elle aurait préféré crier son amour au monde plutôt que le cacher. Crier le nom de son amour élu. Pourquoi ce vœu de secret, quand on sait que le silence enferme, emprisonne et clôt toute ouverture sur le monde.

Elle aurait fait le vœu que l’on sache combien elle l’aimait. Il n’y aurait pas eu lieu d’en faire secret. Son vœu aurait été de chanter son nom sur tous les tons, à tous les temps, partout, tout le temps. De dire son nom, l’écrire, le chérir, le penser, le prononcer. Sans le crier. Mais le chanter, le poétiser. Jusqu’à ce que Amour soit là, devant elle, près d’elle, derrière elle, l’entourant de ses bras, de son corps, de sa chaleur, du velouté de sa peau si fine par endroits.

Elle aurait voulu son corps, là, ici, maintenant, tout de suite. Elle l’aurait appelé, encore et encore, jusqu’à son retour. Elle l’aurait chéri, attendu, rêvé, fantasmé. Jusqu’à son arrivée.

Elle n’aurait plus pu s’accorder aux paroles de ce chant, si beau, si doux, si poétique. Si faux.

Elle l’aurait voulu là, avec elle. Pleinement là. À lui prendre la main, lui caresser le cou, doucement, sur la nuque, sur le pourtour des oreilles, là où le frisson s’élève.

Elle l’aurait attendu toute la journée, jusqu’à son retour aimant, vaillant, enveloppant. Elle n’aurait pu continuer de chanter. Elle aurait repris ce qu’elle croyait être la suite du poème d’Armand Silvestre, écoutant vaguement son esprit déchiffrer les notes :

« Et qu’au bout de l’ombre, Tin Din,

Comme un grain d’encens, il s’enflamme… »

Elle se serait trompée. Elle aurait lu les paroles, sans plus entendre le chant de Fauré.

« Je veux que le jour le proclame

Le nom qu’au matin j’ai chanté »

Elle aurait essayé de se souvenir de la suite. Impossible. Son cœur, son corps s’y seraient refusés :

Et sur mon cœur ouvert, penché,

Comme un grain d’encens, il s’enflamme »

Ce vœu n’aurait pas été le sien, elle s’y serait opposée.

Elle aurait dû ruser. Repenser à son romantisme d’antan. Réfuter le désir des corps, de son corps, le désir de dire son nom, encore et encore, enivrée de l’invasion de la chimie des hormones, des endorphines qu’elle ressentait à la seule pensée de son nom, étourdie par l’envie de sa présence ici.

Non. Ce ne pourrait être un secret. Ce nom, elle ne pourrait l’évoquer à mi-mot, le cacher. Il lui faudrait le crier, la voix rauque, dans une décharge convulsive. Irrépressible.

Elle aurait feuilleté les pages des trois volumes de chansons françaises, frénétique. Elle aurait cherché ce qu’elle aurait pu chanter à la place, avec sincérité, dans l’authenticité de l’amour vrai.

« Au Bord de l’eau » ? Trop immature pour son désir déjà fébrile.

Elle aurait senti un léger tremblement vers le haut des cuisses, un frémissement du côté des lèvres, oh ! pas les visibles, les rieuses de son visage, les rose framboise. Les autres. Les cramoisies, les violines, les sombres lèvres de la maturité, gourmandes, avides. Celles qui, d’une sourde lueur foncée, aux teintes menaçantes, couleur de chair maturée, entouraient la peau rosée la plus tendre.

Penser à son seul nom, à sa présence prochaine animait involontairement les muscles de son…

Elle ne pourrait pas penser, ni dire le mot. Elle serait déjà dans la moiteur marine et salée de l’exaltation. Elle n’aurait plus envie de chanter.

Intensément, silencieusement, intérieurement, elle pousserait le cri de son nom. Il devrait venir vite. Avant que le désir ne retombât et que la routine des jours ne les emportât dans la banalité du soir.

Elle aurait voulu,

Elle aurait voulu,

Que qui porterait ce nom secret arrivât, la comblât sur le sofa, le tapis, en ré, en sol, en fa, en mi contre le chambranle de la porte palière, sur la cuisinière. La transportât ailleurs, dans l’ailleurs du plaisir, loin de la sublimation du chant, du désir de l’irréel, dans le bonheur de l’ici et bien là.

Là.

Maintenant.

Elle saurait ce qu’elle voudrait. Sa présence. Sa chaleur. Sa douceur et sa force combinées. Sa suave virilité.

Ce ne serait pas un secret. Elle saurait quel serait son vœu. Impérieux.

© Simone Rinzler | 2 février 2023 - Corrigé le 9 février 2023 - Tous droits réservés 

À L'Atelier de L'Espère-Luette 

Pour écouter la magnifique interprétation du duo Bénédicte Hilbert (Soprano) et Fabrice Pqrmentier (piano)



 

Cette nouvelle a été initialement postée sur Zodiac Writing Challenge 5ème édition 2023 Forum créé par Sturm, dans le cadre d'un défi d’écriture pendant un an : une nouvelle par mois. 

Paysage de brume #2

Aquarelle © Simone Rinzler



1/25/2017

#DQS5 Exo 1 : Souvenir d'enfance vu d'un point de vue extérieur

#DQS5 Exo 1 : Souvenir d'enfance vu d'un point de vue extérieur

Moi, C'est Ramon. Je suis au deuxième rang sur la photo de 5ème. C'est moi qui suis le petit bonhomme timide, tout frisé et très brun.


Bon, cela ne se voit plus trop que je suis brun et frisé. Je suis presque chauve et le peu de cheveux qui me restent sont tous blancs. La petite au 1er rang m'a drôlement impressionné. J'avais fait sa connaissance en sixième à l'annexe du Lycée Paul Valéry.


J'aimais bien titiller les filles pour les faire crier. Un jour, j'avais apporté un orvet au lycée et je l'avais caché dans ma chemise. A la récré, je le sortais de ma chemise entr'ouverte, et chaque fois que j'allais vers une fille, à tous les coups, ça marchait. Elle se mettait à crier.


Il y avait une très petite élève, très sage et bonne élève à l'air un peu triste. Elle venait de se faire couper les cheveux tout court et ressemblait à un petit garçon pas très rassuré.

Après avoir fait hurler Martine, Brigitte et quelques autres dont j'ai oublié les prénoms, je suis allée la voir. J'étais sûr de mon effet. Elle allait hurler à la mort ! J'allais bien me marrer.

On était vers la fin de la récré, je n'étais pas encore allé l'embêter. Comme je n'étais pas un excellent élève, je n'avais pas osé m'attaquer directement à la bonne élève sérieuse. J'avais peur qu'elle me dénonce et que je sois convoqué dans le bureau de Madame le Censeur, Mme Bureau. Cette femme n'avait pas son pareil pour écraser les plaisantins et tout le monde redoutait cette femme avec ses chevilles grosses comme des poteaux. On n'avait jamais vu une femme comme ça. C'était un vrai chef de guerre, cette femme-là et je n'avais pas osé aller voir la petite Solange à la récré du matin. J'avais trop peur de me faire passer un savon. Malgré mes airs bravaches, je ne voulais pas gâcher mes chances. J'avais quand même été admis dans le premier lycée mixte de Paris et j'avais pu entrer dans une classe de sixième générale, ce qui n'était pas très fréquent pour un fils de maçon espagnol et d'une mère femme de ménage. Je savais que si j'étais convoqué, cela mettrait en péril mes études et les espoirs de mes parents que j'aimais beaucoup. J'avais échappé au collège d'enseignement général et à la perspective d'études courtes et mes parents faisaient de gros sacrifices pour que je puisse avoir un vie meilleure que la leur. Je ne pouvais pas les décevoir.


Mais, comme disait ma prof principale, j'avais "le diable au corps". Il fallait que j'embête les filles. Je ne pouvais pas m'en empêcher. Comme je savais que je n'étais pas très beau et que je peinais à suivre les cours du lycée, les filles ne venaient pas me voir pour discuter avec moi comme elles le faisaient avec d'autre garçons plus à l'aise dans leur peau et qui se sentaient bien à leur place.

Moi, je ne me sentais pas très bien à ma place. Tout me paraissait difficile. Les études, les filles. Alors, je me rongeais les sangs et je faisais des bêtises. Comme je le regrette maintenant. J'ai vraiment gâché toutes mes chances à faire l'idiot comme cela. Je ne me rongeais pas que les sangs. je me rongeais les ongles. J'avais peur de tout, peur de ne pas y arriver, peur de ne pas rencontrer de copines comme les autres, peur de ne pas pouvoir faire le plaisir que mes parents attendaient en faisant des études. Je ne me sentais vraiment pas à ma place.


J'avais laissé la petite Solange tranquille toute la matinée, et même pendant la récré de la cantine. J'hésitais à aller l'ennuyer.


Mais, à la fin de la dernière récré, juste avant le cours de maths de la toute petite Mme Joris qui était encore en retard, je n'ai plus pu tenir.

Je suis allé voir Solange, j'ai déboutonné ma chemise et lui ai montré à elle aussi le petit serpent inoffensif que je gardai depuis ce matin dans ma chemise.

J'ai vu la terreur dans ses yeux quand je me suis approchée d'elle.

Quand je suis arrivé à son niveau, elle avait repris une expression nettement moins horrifiée et elle m'a dit avec douceur :

- "Fais-moi voir ce que tu as là. Tu l'as montré toute la journée à toute les filles et pas à moi. Qu'est-ce que c'est ? Un serpent ? Il n'est pas dangereux ?"

- "Non", lui ai-je répondu. "C'est un orvet."

- "Un orvet ? Je n'en ai jamais vu. Montre-le moi !"

Je voyais bien qu'elle s'approchait avec réticence, mais elle faisait l'effort de ne pas montrer qu'elle était terrorisée. Je ne la sentais pas très à l'aise. Mais je dois dire qu'elle m'a impressionné. Ce n'était pas la petite fille fragile que j'avais imaginé. C'est la seule fille de la classe qui n'est pas partie en criant. J'étais totalement désarçonné. Cette fille semblait n'avoir pas peur de moi. J'ai trouvé cela étrange. On ne s'était jamais parlé avant, pourtant, et l'année scolaire était déjà bien entamée.

Elle a ajouté : - "Oh ! Il n'est pas vert ? Je croyais que tous les serpents étaient verts."


Je lui expliqué, en rangeant mon orvet pour ne pas lui faire peur, que les orvet étaient toujours de cette couleur, et que non, tous les serpents n'étaient pas toujours verts.


Cette année-là, en sixième, elle prenait le bus pour aller au lycée.


Mais dès l'année suivante, elle commença à prendre le métro et nous rentrions souvent ensemble. Le trajet n'était pas très long, mais on avait toujours un peu de temps tous seuls entre Bel Air et Dugommier, avant qu'elle ne descende. Alors, on parlait devoirs. Elle m’expliquait ce que je n'avais pas compris.


Dommage que notre trajet ensemble n'ait pas été plus long. J'aurais peut-être pu passer en 4ème si elle avait habité plus loin et ne serais pas parti du lycée dès la fin de la 5ème.

Mais cela, je ne le saurai jamais.


Elle était vraiment gentille, cette fille. C'était la seule à ne pas me snober parce que j'étais fils d'ouvrier. Son père aussi était travailleur manuel. C'est peut-être pour cela qu'elle avait été si courageuse, le jour de l'orvet.


Ah ! J'ai oublié de vous dire. Je n'ai pas été puni, cette fois. Elle n'est pas allée se plaindre.

En ce temps-là, ça ne se disait pas, mais c'était une fille cool et sympa.
© Simone Rinzler - Tous droits réservés

[Rédigé en 45 minutes (au lieu des 30 minutes préconisées) dans le Mooc Draftquest Saison 5: Écrire une fiction]