Tu viens d'entrer dans la journée du yoyo émotionnel.
Ton pays est en deuil national,
Tu es orpheline de tes amis d'adolescence, ces types à bédé, ces grandioses dingues casseurs de toute mesquinerie, toute hypocrisie, ces types qui t'ont fait grandir vers ton âge de femme adulte.
Tu t'es endormie en faisant une pipe a ton homme en mémoire de Wolinski et des tués de Charlie, enfin, tu n'as pas pu t'endormir tout de suite, tu t'es interrogée sur ton absence de réaction, t'es souvenue que, comme tous les grands blessés d'avant, tu es d'abord dans un état de stupeur énergétique qui te permet de survivre sur le moment du choc, tu portes du rouge pour faire la nique au deuil qui se montre. Tu sais que tes deuils ne se montrent pas, que tu n'aimes pas les montrer, que tu préfères faire de l'humour noir que t'apitoyer, que jamais, jamais, tu ne t'écroules en chialant, t'es trop blessée, t'as trop morflé, de quoi, on sait pas trop, il y en a trop.
Tu penses qu'il vaut mieux se taire et ne pas écrire.
Tu écris quand même. Finalement. C'est ton moyen d'exister, de subsister, non pas matériellement, mais moralement, psychologiquement, tu as cessé de te interroger. Tu t'es remise à l'écriture et tu laisses ton esprit faire le boulot sans même que tu saches à l'avance ce qui va en sortir.
En écrivant,...
Tu t'es souvenue que tu te voyais en fille du Proviseur, amoureuse du Grand Duduche.
En dormant,...
Ce matin, la sonnerie du téléphone t'a réveillée.
Tu as reçu un coup de fil attendu t'annonçant une superbe belle nouvelle personnelle, familiale que tu connaissais déjà depuis quelques temps : ton fils est en cure - tu le savais déjà -il t'a appelée, enfin, tu attendais et redoutais ce moment-là. Tu as peur de ne plus y croire, tout ça te bouleverse,
Entre tristesse et exultation, modérées par l'expérience,
Tu restes plusieurs heures, sans mots, sans voix,
Tu es allée rechercher tes albums de bande dessinée dans ta cave, tu as relu Wolinski, tu te maudis d'avoir laissé Cabu à la campagne ou de l'avoir perdu.
Tu penses à Benedict Anderson, auteur de Imagined Communities, tu te rends compte que toi aussi, tu as eu tes Communautés Imaginaires, que tu es Charlie, et toi aussi et toi aussi, que dans ces communautés imaginaires se créent un sentiment fort de communauté. On lit les mêmes journaux à la même heure, on regarde les mêmes émissions, on s'émeut ou on s'émeut pas des mêmes choses, c'est ce qui crée un communauté nationale, à l'origine, une communauté abstraite, imaginaire, et ce jour, tu comprends qu'il y a bel et bien une communauté imaginaire à laquelle tu appartiens. Tu t'y sens bien. Tu y es en confiance. Tu es pleine de confiance. Pleine d'espoir.
Tu te rends compte aussi que ce sont ces communautés imaginaires que te font vivre, toi, toi et toi, aussi, qui te font espérer, toi, toi, toi, et toi aussi.
Tu t'attristes sur et te réjouis de tes communautés réelles et imaginaires, ces histoire d'amour en amitié.
Tu as perdu un peu de ta famille et tu viens d'en gagner un peu.
Rire ou sourire, vivre et continuer.
© Simone Rinzler | 8 janvier 2015 - Tous droits réservés et Peut être partagé (je ne suis pas juriste...)
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