Épisode 2
À l’usine de retraitement
(aux alentours du 05 ou 06/01/2013...)
Quand
je suis arrivée à l’usine de retraitement, je ne voulais pas y aller.
Mais, ancien bon petit soldat toujours docile – que je n’étais plus,
c’est pour cela que l’on m’avait conseillé d’aller à l’usine de
retraitement – j’y suis allée, vaillamment, même un peu crâne, un peu
supérieure, du genre : « Moi, je sais très bien que je n’en ai pas
besoin ».
Je
savais pourtant – depuis longtemps – que j’en avais besoin. Mais je
refusais. De toutes mes forces. Et maintenant, j’étais épuisée. Plus de
réserves de résistance. Il me fallait y aller.
Quant
à savoir ce qui s’est passé quand je suis arrivée à l’usine de
retraitement, là, mes petits lapins, il faudra attendre. Longtemps.
Longtemps. Que je me décide enfin à être écrivain. Car écrire, ça pour
écrire, j’écris déjà. Depuis longtemps. Très longtemps. J’écris « en
emploi absolu ». Cela signifie que mon métier – choisi – consiste à
écrire. Mais pas à être écrivain. Car je suis enseignant-chercheur.
Donc, pour écrire, ça oui, j’écris. Et je n’ai plus très envie d’écrire. D’écrire « en emploi absolu », I mean d’écrire tout court.
Ou
du moins, je n’ai plus envie d’écrire ça. D’écrire cela. D’écrire comme
j’ai déjà écrit. Je sens que le moment est venu de passer à un autre Écrire. Celui dont je rêve depuis l’enfance.
Non,
cela est faux. Ce n’est pas depuis l’enfance que j’en rêve. J’en ai
rêvé étant enfant. Très fort. Puis par la suite, le réel a pris le pas
sur le rêve, et l’envie est tombée, d’elle-même. Je n’avais plus cette envie, cet idéal : j’étais dans la vie.
Quand tu es heureux, tu n’as pas besoin, tu n’as pas envie d’écrire ta vie. Tu la vis.
Alors, au gré des crises existentielles (mais le nom clinique commun de la crise existentielle, ça s’appelle la dépression, voyons), l’envie est parfois revenue. Je me suis vue écrivant, écrivante, comme dit Barthes, écrivaine, écrivain.
Au masculin.
Car je vois bien que je n’ai toujours pas bien avalé d’être une femme.
Je me suis toujours vue en homme. Je n’ai jamais totalement accepté le scandale d’être née femme.
Et pourtant, féminine,
je le suis. De bout en bout. Je suinte la féminité. Et la sensualité.
Sauf qu’en ce moment, la sensualité est en panne. C’est plutôt la sang, sue, alitée, – me voilà lacanienne, maintenant ! – je voulais écrire la sançue alitée. Le lapsus me va très bien. D’autant que là, je n’étais pas très sûre de l’orthographe. Sansue ? Sançue ?
Si je vais chercher, je me perdrai encore dans le dictionnaire et ne
finirai pas ce que j’ai commencé. Or je veux avancer, sans dévier. Car
je veux sortir de ce marasme, de cette boue, de cette gadoue, de ce
gâchis de ma vie et de celle de mon compagnon, mon ami, mon amant, mon
amour. Mon bienaimé, mon Bienaimé, mon chez moi, my home, quoi !
L’homme avec qui, chez qui, dans qui je suis bien.
Oui, j’ai bien écrit
« dans ». Je me sens bien dans lui ; j’avais mis une majuscule que je
viens de corriger. Je vois bien que je parle de lui comme un Dieu. Alors
oui. Dans Lui. Pas seulement dans ses bras. Dans ses pas. Dans son
ombre, oui, peut-être un peu, mais surtout dans sa lumière. Dans la
lumière qu’il éclaire pour moi. L’homme qui me fait luire, reluire. Et
qui me reluit. Pas un homme qui me vénère (même si des fois, il me véner’),
un homme qui vit. Avec moi. Dans moi. Heureux de faire l’amour avec
moi. Heureux que nous soyons cette sorte de « Toi et Moi » sous le même
toit. Je pense à ces « Toi et Moi » des années 50-60, je crois.
Mais
il n’est plus heureux avec moi. Car je ne luis plus. Je ne lui plus
plus ces derniers mois. Je suis en panne. En pause. En retrait. En
retraite. Retraite affective. Retraite vitale. Retrait de la vie. En
attente. Attente d’un Poste qui ne me fait pas envie. Ou dont je (me)
fais semblant de me faire croire qu’il ne me plaît pas, version Le Renard et les raisins. Il est trop vert et bon pour des goujats.
Ah ! Les goujats ! Me voilà au cœur de ce qui m’obsède, obsessionnellement, continûment, AutreChoseQuiRimeEnAN, QuiRimeEn—ment,
peu à peu. Et qui me tue à petit feu jour après jour. Peu à peu. Un peu
plus chaque jour. Plus qu’hier et bien moins que demain. Tant que je
n’abandonne pas.
Compte
tes profits et tes pertes, ma fille !, comme au Casino. Ne fais pas ta
Perette et ton poteau laid qui se casse. Et casse-toi. Casse-toi avant
que ça ne te casse. Avant que ça ne te brise. Avant le grand dégât.
Le
Grand Dégât. La poursuite d’une chimère. L’amour-haine d’une mère de
substitution, mauvaise, qui jamais, jamais ne t’aimera. Et dont
l’obsession te fait perdre peu à peu l’amour de ton Bienaimé. [J’ai décidé de ne pas le nommer].
.......
Ma famille pense que je relève de l’internement.
Je ne le pense pas. Ou du moins, pas en ces termes.
Ma famille, c’est-à-dire mes deux filles et mon mari. Mon fils restera le Grand Absent de ce récit.
Nous
étions ensemble en vacances, j’étais grippée ou avec la bronchite de un
ou plusieurs jours, avec courbatures et forte fièvre. J’avais passé
toute la journée à dormir. Le soir, nous sommes allés dîner.
J’étais allée à la clinique de l’hôtel chercher du Paracétamol et étais revenue avec du sirop.
Le temps que j’aille me servir au buffet, quand je suis revenue, ils se sont moqués de moi.
…….
J’entends
mal. J’entends souvent mal et je fais souvent répéter. Depuis un temps
fou, chaque fois que je demande de répéter, ma famille soit m’ignore,
soit m’engueule, soit se moque de moi.
Cette fois-ci, ils ont commencé à rigoler ; à rire de moi.
J’ai probablement demandé de répéter, comme d’habitude. Je n’ai pas compris ce qu’il y avait de drôle.
Le Paracétamol que j’avais acheté à la clinique
était un sirop pour enfants et correspondait à deux comprimés et demi,
soit presque rien pour prévoir la sortie du jour entier le lendemain,
une excursion dans un site merveilleux.
Mais je n’ai pas entendu, pas compris. Et j’ai cru,
en les voyant rire, qu’ils se moquaient de moi, pas de la situation.
Qui, elle, était effectivement comique.
J’ai sans arrêt cette impression que l’on se moque de moi.
Ils étaient persuadés que j’avais entendu/compris. Et n’ont pas compris, comme d’habitude, mon mouvement d’humeur.
La discussion a continué. Je ne me souviens pas de son déroulement exact.
.......
X, n, π, oui, Pi (plutôt que x, l’inconnu, n,
le lambda, appelons-le π). Pi m’a dit quelque chose comme : « Tu n’as
rien remarqué ? ».
J’ai répondu quelque chose comme « Si ».
Ou à ce moment-là, je ne sais plus si j’ai répondu quelque chose et si oui, quoi exactement...
Pi m’a dit :
[…]
C’est
sans intérêt, ce que Pi (π) m’a dit. Ni ce que j’ai répondu. Ni ce qui
s’est passé ce soir-là, avec Lui et mes filles. Ni tout le reste.
Je n’ai jamais supporté la moquerie. C’est comme si je n’avais pas le sens de l’humour.
Toute moquerie à mon égard me blesse.
Sauf quand je la sens bienveillante.
Or là, je ne sentais aucune bienveillance. Tout juste un bloc de trois. Contre moi.
…….
C’est
fou comme l’écriture à la main change la façon d’écrire. Je m’y sens
plus libre. La correction n’efface pas le premier geste.
Voilà
des années que j’essaie d’écrire [non pas au sens absolu : écrire sans
préciser quoi, mais écrire au sens d’être écrivain, d’écrire des livres,
de faire œuvre au sens littéraire.], que j’écris – au sens absolu, toujours. Que je suis écrivante, au sens de Barthes.
Mais que je n’écris plus.
J’aime écrire. Cela me vide. Me vide de mon vide qui est, en fait, un trop plein.
Un trop plein qui ne demande qu’à déborder.
Qui déborde.
Me déborde.
M’étouffe.
Quand je ne vais pas bien, écrire m’est vital. Ma vie en dépend.
Laisser déborder ce qui déborde.
S’autoriser. S’autoriser à fâcher. Ceux que l’on aime. Ce qui m’a toujours retenue d’être ce que je suis : Écrivain.
.......
Peut-être est-ce cela qui m’empêche de postuler à ce poste de Professeur.
Je ne me suis jamais rêvée Professeur des Universités.
Écrivain, oui.
Il
me semble que si j’acceptais enfin d’être ce que je suis, à savoir
écrivain, je redeviendrai ce que je suis. Moi. Mon vrai moi.
Et
que, ne me privant plus de ce que je veux, je pourrais alors devenir ce
que je suis au tréfonds de moi – et que j’ai déjà accepté et me suis
déjà autorisée à être : une intellectuelle. Intellectuelle et écrivain.
L'un n'est pas exclusif de l'autre.
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[Blogger m'agace toujours autant, à ne pas respecter mes sauts de ligne... Toujours pas très douée, mais tant pis, je n'attends plus !
D'autant que j'ai un vrai roman sur le gaz. Projet de très longue haleine, qui s'affine de plus en plus, mais me prendra probablement beaucoup de temps. Je ne publie que mes gammes de l'an passé et quelques bricoles du présent en ce moment. Histoire de m'habituer à publier en mon nom. Vieille histoire...]