Le Contrordre du vent
Ω Il faut qu'ils continuent à me suivre, ces connards. Sans
eux, je ne peux plus avancer.
L'autre, le scribe, il ne se prend pas pour de la
merde : Gna, gna, gna ! Gna,
gna, gna… Il me rappelle mon salaud de père.
C'est comme ce snobinard de ∏ qui fait sa mijaurée, genre Je suis resté simple. Quel baltringue !
Et puis cette connasse d'Oroshi.
La pétasse d'aéromaître !
Ils sont tous tarés.
Et c'est moi leur chef ! Ah ! Ah ! Ah ! La belle blague !
Ils ne respectent que
la botte qui les écrase. Va ! Va ! Continue à faire ton taiseux, mon
gars. Y'a que ça qui les fait avancer, ces débiles.
Faut qu' j'arrête de penser. On ne sait jamais. S'ils me
voyaient sourire, tout serait foutu. Ce serait la fin de la secte. La fin de
mon pouvoir.
Allez ! Grogne un coup
! Fais la gueule ! Va rouler tes fausses blessures dans la boue. Remets-en un
coup dans la dureté. Ils vont encore plus t'admirer.
Les cons ! Non, mais
les cons.
Ça y est. J'ai retrouvé ma sale gueule. Pour un peu, je
fichais tout en l'air.
Ah ! Je les tiens ! Je
les tiens !
Les tarés.
Ό Les hordiers avancent. Sans arrêt.
Marche ou crève !
Marche ou crève !
Contre !
Contre !
Les hordiers obéissent. Sans hésiter.
Tous ensemble !
Tous ensemble !
Oui ! Oui !
Tous ensemble !
Tous ensemble !
Oui ! Oui !
Aucune révolte. Aucune anicroche.
Tous avancent.
Tous avancent.
Oui ! Oui !
Ça pue la testostérone.
Marche ou crève !
Marche ou crève !
Oui ! Oui !
Personne jamais ne s'oppose.
Non !
Non !
Personne jamais ne s'repose.
Non !
Non !
T'es avec nous. Tu es contre.
Contre !
Contre !
Personne jamais ne s'ra contre !
Non ! Non !
Personne jamais ne s'arrête.
Contre.
Contre.
Le chef est incontesté.
Personne n'est là pour penser.
Que font les sédentaires ?
Que vivent-ils ?
Que pensent-ils ?
Que sacrifient-ils ?
Qui les embrigade ?
Acceptent-ils de financer ?
Sont-ils complices ou déchirés ?
Ils existent. Ils sont.
Dans le décor.
Comme un corps mort.
Quel est leur corps social ?
Quelles sont leurs écoles ?
Quelles sont leurs chansons ?
Qui sont leurs poètes ?
Qui les incite à fournir des corps entraînés pour les
hordiers ?
Qui recrute leurs enfants pour aller contre le vent ?
Comment luttent-ils contre la secte des hordiers ?
Font-ils des contes, des berceuses ?
Mettent-ils en garde leurs enfants,
Leur délirants ?
Quelle est leur civilisation de sédentaire ?
Reçoivent-ils des nouvelles des hordiers ?
Ça pue le totalitarisme.
Ça pue le féodalisme.
Ça pue le conservatisme.
Qui contre le contre ?
Que fait la Contre-Horde ?
Les pères pleurent-ils leurs filles parties ?
Qui berce les enfants ?
Que vit le sédentaire ?
Je ne puis me taire. ?
Φ Ils sont partis.
Les uns.
Après.
Les autres.
Nous sommes restés.
Ils ont fui.
Fui la douleur.
Et la peine.
D'être en vie.
D'être humain.
D'être mortel.
Mortels.
Ils se croient mortels.
Ils se vivent au présent de leur toute-puissance.
Ils ont été abusés.
Manœuvrés.
Décervelés.
Ils sont partis.
Ils nous ont laissés seuls.
Avec les malades.
Les enfants.
Les vieux.
Les inutiles.
Ils ne pensent qu'à eux.
Ils refusent de grandir.
Ils vivent de leurs rêves.
Ils sont égoïstes.
Incapables de faire société.
Ils sont entrés dans la secte.
Ils se sont féodalisés, inféodés, affiliés.
Ils suivent le plus lâche, le plus fou, un brute épaisse.
Ils perdent leur civilité.
S'enfoncent dans la barbarie.
Rejoignent le cirque des tournois, des ballades
chevaleresques, des épopées.
Ils sont partis.
Nous laissant, là, seuls, à affronter le vent, la terre, les
jours et les nuits sans sommeil.
Nous avons perdu les plus forts physiquement.
Nous avons dû nous habituer.
Vivre sans eux.
Les remplacer.
Nous débrouiller.
Inventer.
Nous avons progressé en ne bougeant pas.
Nous avons inventé de nouvelles lois, de nouvelles
protections, de nouvelles fictions.
Nous avons inventé des machines pour remplacer leur force de
travail.
Nous avons fait œuvre de civilisation.
Nous leur devons beaucoup, malgré la perte, le chagrin, la
torture morale qu'ils nous ont imposés.
Nous avons tenu bon.
Nous faisons civilisation.
Nous réfutons leur barbarie.
Nous vomissons leur force brute, leur camaraderie virile,
leurs fantasmes de grandeur.
Nous pensons.
Nous réfléchissons.
Nous prenons soin de nous, des nôtres, des voyageurs de passage.
Nous sommes la masse silencieuse.
Nous sommes la paix.
Leur guerre contre eux-mêmes, contre la race humaine nous a
apporté la paix.
Sans le vouloir, nous nous sommes débarrassés de nos
nuisibles, de nos haineux, de nos hargneux, de nos narcissiques, de nos filles
débiles et de nos garçons instables.
Ils sont partis.
Ils nous ont apporté la paix.
Ils guerroient pour eux.
Leur départ a scellé notre début.
Nous ne l'avions pas voulu.
Nous avons accepté leur sacrifice, qu'ils ne vivent pas
comme un sacrifice.
Le sacrifice fut le nôtre, privés d'eux, de leur présence.
Nos enfants, notre vieille, même, nous furent volés,
kidnappés, enrôlés.
Nous fûmes libérés.
Il nous fallut plusieurs siècles pour comprendre notre
chance.
Notre chance d'être débarrassés.
De leur connerie.
De leur bêtise.
De leur fanatisme.
De leur totalitarisme.
Nous avons tant pleuré.
Avant de comprendre.
Qu'ils nous avaient délivrés d'eux.
De leur poids.
De leurs crises.
De leur folie.
Ils follent pour nous.
Nous sommes à l'abri.
Dans l'acceptation.
De notre humaine condition.
Nous nous sommes adaptés.
Nous avons évolué.
Nous allons vers l'avenir, confiants.
Heureux.
Ψ Ils n'ont pas de passé.
Ou si peu.
Ils n'ont pas d'avenir.
Ou si peu.
Ils restent bloqués dans un présent permanent.
Ils sont vieux avant l'âge.
Blasés de tout,
Revenus de tout.
Partis de rien.
Venus à rien.
Ils ne savent que marcher.
Ils ne savent que contrer.
Ils réinventent le monde,
Ignorants du monde, du passé, du présent,
Ignorants de leur avenir.
Ils ne connaissent que la brutalité, la bestialité.
Ils ignorent tout de l'amour, de l'amitié, de la solidarité.
Leur philosophie de vie se résume à la lutte pour la survie.
Ils avancent à l'aveugle, en aveugles,
Sourds à la musique, la poésie,
Oublieux de la douceur du zéphyr.
Ils sentent comme sentent les bêtes, les chasseurs, les
fauves.
Ils se méprisent et se forcent à se respecter, faute de
pouvoir s'aimer.
Nous les avions tant aimés, tant choyés.
Que leur est-il arrivé ?
Sont-ils malades, fous, délirants, ivres de reconnaissance,
hébétés de leur toute-puissance merdique.
Pour un peu, nous pourrions les mépriser,
Tant ils nous font horreur,
Tant ils font peur,
Tant ils persistent dans leur égoïsme.
Nous ne pouvons les haïr.
Nous les avons faits.
Comme ils nous ont faits.
Notre salut est passé par leur débarras.
Sans eux, nous avons pu avancer.
Sans bouger.
Nous enraciner.
Nous civiliser.
Sans eux, nous avons pu aimer.
Sans compter.
Nous étreindre.
Sans nous craindre.
En attendant le retour de nos barbares,
Nous nous sommes aimés, entraidés.
Nous avons séché nos larmes.
Nous avons appris la patience,
Avons utilisé au mieux notre science.
Fait usage de notre conscience.
Drame du bon débarras.
Ils sont nos Carmélites.
Ils pillent pour nous.
Vivons pour eux.
Ils ne voulaient pas grandir.
Comme ils ont vieilli.
Soyons jeunes pour eux.
Vivons pour eux.
Vivons sans eux.
Σ Ces gens-là, quand même, nous ont
fait beaucoup de bien.
Pas vrai, Constantin ?
Tu n'as jamais attendu ces barbares.
Cavafy, tu les savais partis pour ne plus revenir.
Coetzee, tu les as affrontés en silence.
Ensemble, nous vivons.
Heureux.
© Simone Rinzler | 14 juin 2015 - Tous droits réservés (Posté le 5 octobre 2015)
Manuscrit envoyé le 14 juin 2015 dans le cadre du concours de fanfiction Damasio Folio SF / DraftQuest #windquest #damasiofanfiction Fanfiction à partir d u roman de science-fiction "La Horde du Contrevent" de Damasio
NB : Ce texte n'a pas été primé. Ce n'était pas une fiction de fan, c'est le moins que l'on puisse dire...
J'ai détesté le livre et n'avais pas pu le finir.
Mais, je me suis bien amusée à L'Atelier de L'Espère-Luette