02 VOUS Vous avez tous lu le mode d'emploi... (Conte de Vous)
Vous avez tous lu le mode d'emploi. Vous l'avez suivi. Vous l'avez relu. Vous l'avez appliqué.
Vous avez suivi. Vous avez acheté, vous avez lu, vous avez suivi les slogans, les mots d'ordre, les conseils, les modes d'emplois, les instructions for use, les Gebrauchanweisung, les notices de montage.
Vous avez acheté, utilisé tous les ingrédients, suivi les proportions, mixé, mélangé, malaxé. Vous avez goûté. Ça manquait de sel. C'était fade. Vous avez ajouté votre touche personnelle, une pincée de piment, un trait de citron, quelques grammes de cannelle. Rien n'y faisait. C'était raté. Vous avez continué à suivre la recette. Vous en avez rajouté une couche. Une couche de parmesan par-ci, une couche de lasagnes par-là, un lit de tomates, concassées, épépinées. Cela ne vous plaisait toujours pas.
Vous êtes entrés dans une zone d'obéissance programmée. Rien ne peut se détraquer. Vous suivez les conseils, il n'y a pas d'ordre. Les conseils sont souples, sont vagues, sont taille unique. Vous pouvez les adapter. Vous êtes libres.
Vous continuez à suivre les conseils. Vous appliquez la recette, les recettes. C'est toujours aussi fade. Vous avez perdu votre liberté, votre fantaisie. Vous avez cru aller au devant de votre liberté, vous vous êtes ligotés. Vous êtes attachés, liés, ligotés. Vous adhérez pas, vous n'adhère plus. Vous n'y croyez plus. Vous vous organisez. Vous mettez en place la résistance. Vous commencez par de petites actions, peu visibles, amusantes, facétieuses. Vous vous amusez de voir qu'on vous suit, qu'on sourit. Vous n'êtes pas amusé. Vous entrez dans votre coquille, vous prenez le maquis, vous continuez en silence, à votre façon. Vous tentez de reprendre votre liberté. Vous ne faites rien. Rien de remarquable. Rien de mémorable, pour la clique, pour la claque. Vous improvisez des berceuses, des chansons de troupe, des récits horrifiques, des cauchemars de procès, de château, de labyrinthe, de huis-clos, d'enfermement. Vous êtes pris au piège. Vous êtes entrés où il ne fallait pas entrer. Vous allez chercher comment en sortir, par le bas, ça ne va pas. Vous tenterez par le haut. Vous vous hissez de plus en plus haut. Vous regardez vers le bas. Vous les voyez se débattre. Vous êtes déjà haut. Bien plus haut. Bien trop haut. Vous décidez de ne plus regarder en bas. Vous luttez contre votre vertige du dernier échelon de l'échelle. Vous ne voyez pas l'échelle. Ce n'est pas une échelle. Vous placez vos pas, moellon après moellon, à l'attaque de la forteresse, par l'intérieur. Vos pieds, votre tête sont dans la brume, en altitude. Vous êtes seul. Vous avez un peu froid. L'effort vous réchauffe. Vous voulez sortir. Vous êtes déterminé. Vous grimpez, pas à pas. Vous luttez, pied à pied, avec le danger d'être découvert. Vous progressez lentement, limitez vos mouvements. Vous ne devez pas être repéré. Vous respirez calmement, vous êtes transparent. Vous vous fondez avec la muraille que votre corps épouse. Vous vous faites discret. Vous taisez les bruits de votre corps, les peurs de votre âme. Vous gravissez, marche après marche, enjambée après enjambée. Vous craignez que vos mains glissent, vous n'avez pas de magnésie pour vous aider à grimper. L'ascension est difficile. Elle est progressive, précautionneuse, vous vous gardez bien de roi céder trop rapidement. Vous escomptez chaque nouveau mouvement, son effet sur la suite, vous ne pouvez tout prévoir, vous vous efforcez de tout contrôler. Vous voulez sortir. Par le haut. Vous redescendrez comme vous êtes monté. Précautionneusement. Vous prendrez votre temps. Vous ne sauterez pas, pas même de joie. Vous descendrez lentement, pas à pas, collé à la muraille, jusqu'au dernier pas. Vous ne sauterez pas. Vous limiterez votre bruit, votre visibilité. Vous maîtriserez vos hormones, votre peur, vous ne regarderez pas les chiens, ni les loups, ni les gardes. Vous vous tapirez, allongé, sans bouger. Vous attendrez, trois bonnes journées. Vous voulez prendre de la distance, vous mettre à couvert. Vous ne vous précipiterez pas vers les fourrés. Vous espérez que l'on vous y cherchera. Vous n'y serez pas. Vous resterez encore caché, aplati. Votre survie en dépend. Vous contredirez tous vos réflexes. Vous serez imprévisibles. Vous deviendrez invisible.
Vous attendrez le temps qu'il faut. Vous ne succomberez pas à la tentation de recouvrer la liberté trop tôt. Vous n'êtes pas encore prêt. Vous suivez votre instinct de survie. Votre instinct vous dicte de ne pas crier victoire trop tôt, pas même trop tard. Vous ne crierez pas victoire. Vous êtes parvenu à vous débarrassez du Syndrome de La Fontaine. Vous n'êtes pas Perrette, vous n'êtes pas si bête. Vous arrêtez de penser. Vous vous agrippez. Vous escaladez. Vous cherchez vos prises, main gauche, pied droit. Votre hanche gauche vous fait souffrir. Vous faites des stations pou récupérer et détendre vos muscles de la jambe gauche en anaérobie. Vous prenez votre temps. Vous avez tout votre temps. Vous êtes déjà là, seul, vous faites ce que vous avez choisi. Vous profitez de cet instant d'accalmie. Vous continuez à travailler votre souffle, en douceur, en soufflant, en expirant une minuscule brise inaudible, très doucement, sans bruit, très longuement, très doucement. Vous ralentissez vos battements de cœur, vous oxygénez votre cerveau, vous détendez les muscles de votre jambe gauche. Vous passerez ensuite à la jambe droite. Vous êtes un sportif de haut niveau. Vous avez commencé votre entraînement il y bien longtemps. Vous appliquez les méthodes que vous avez apprises en pratiquant le chant. Vous conduisez votre mouvement, domptez les caprices de votre corps, votre seul problème est l'hydratation. Vous limitez votre consommation d'oxygène, ralentissez votre cœur, consommez peu de réserves. Vous allez tenir, jusqu'après le bout. Vous ne vous relâcherez pas. Vous continuerez, longtemps encore. Vous reprenez votre hygiène de vie, vous économisez pour mieux dépenser, vous vous économisez pour mieux en profiter. Vous avez un moral résistant, un moral de survivant, vous vous accrochez.
Vous gravissez, pas après pas, pause après pause. Vous avancez, même si cela ne se voit pas. Vous avez pris le maquis. Vous êtes déjà parti. Vous tes déjà loin. Vous n'êtes déjà plus là. Plus de bruit, ni de vue d'en bas. Vous en êtes déjà là. Vous ne vous réjouissez pas bruyamment. Vous calmez votre joie, la transformez en contentement, en plénitude, vous en éprouvez le calme d'une nouvelle habitude, maîtrisée, il maîtrisée. Votre nouvelle attitude est déjà une longue habitude. Vous restez calme en toute circonstance. Vous avez échappé à la foule, aux ordres, aux remous, aux chamailleries et aux jalousies cachées sous une approbation du bout des lèvres. Vous ne dépendez que de vous-même. Vous allez rejoindre ceux qui vous aiment, ceux que vous aimez. Vous aurez tous changé. Vous vous habituerez. Vous soulevez votre pied droit. Votre jambe droite est la plus forte, la plus entraînée. Vous prenez garde de ne pas trop la solliciter. Vous la préservez. Vous n'êtes en concurrence avec personne. Vous avez tout votre temps. Vous êtes réfléchi. Vous êtes aguerri. Vous êtes instruit et expérimenté. Vous avez été aimé. Vous en tirez votre force.
Vous êtes fort. Vous n'êtes pas tout-puissant. Vous prenez en compte votre faiblesse. Vous ne minimisez rien, ne prenez rien au tragique. Vous avancez. Vous avez la constance de l'alpiniste.
© Simone Rinzler | 7 mai 2015 - Tous droits réservés
Vous écrivez À L'Atelier de L'Espère-Luette
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